Les eaux usées et l’assainissement : un enjeu de la transition écologique.

L’historien médiéviste, Marc Bloch, faisait remarquer que les villes médiévales qui pratiquaient l’écoulement des égouts en surface, ont été les plus propices à la diffusion des épidémies, alors que celles qui avaient repris l’innovation romaine de l’écoulement enterré avaient été mieux protégées. De nos jours, sur une planète de près de 7 milliards d’individus, où la pression anthropique menace la survie de l’écosystème humain, la question de la gestion et du traitement des eaux usées est devenu un enjeu majeur de l’indispensable transition écologique. Le droit à un assainissement de qualité fait partie des droits économiques et sociaux internationalement reconnus ; en sont encore pourtant exclus  des centaines de millions de personnes.

La gestion et le traitement des eaux usées, compétence locale qui a longtemps relevé des communes, appartient désormais aux communautés de communes, agglomérations et métropoles. Or ce sujet, bien que d’importance majeure, est trop souvent placé au second rang. J’ai pu constater la méconnaissance des citoyens et même d’élus à qui je me suis amusé à poser cette banale question : « quand tu tires la chasse d’eau, sais-tu où et ce que cela devient ? » Si on sent le vif intérêt porté à l’approvisionnement en eau potable dont chacun sait ne pouvoir s’en passer au quotidien, il n’en est souvent rien ou presque du souci du devenir des eaux usées.  Or leur traitement est un facteur essentiel de la préservation de l’environnement, de la qualité des eaux profondes et de surface, de l’hygiène et de la santé publique.

Pour une gestion publique de l’assainissement.

Dans ce qu’il est convenu d’appeler le « petit cycle de l’eau » il y a certes l’extraction de l’eau, sa potabilisation, sa distribution à tous les usagers, mais aussi l’écoulement des eaux usées et leur traitement dans les STEP (stations d’épuration). Cela doit constituer un ensemble cohérent au sein d’un service public local. L’enjeu vital de ce service public est toutefois bien souvent en France délégué à des multinationales privées ; notre pays a en effet été à la tête du processus de privatisation de l’eau et le modèle capitaliste de ces multinationales ont essaimé dans le monde entier.

Un important mouvement citoyen a permis un retour partiel de la gestion publique en régie, en particulier à Grenoble en 1995 et Paris en 2000. À Montpellier, dans la courte mandature que j’ai exercée entre avril 2014 et juillet 2017, nous avons réussi à expulser une multinationale de l’eau de la gestion de l’eau potable ; la mise en place d’une régie publique a pu démontrer son efficacité et la qualité de sa gestion. Une victoire qui reste partielle car l’assainissement est resté délégué à des entreprises privées. La fin de leur contrat de DSP arrive en 2021 ; l’un des enjeux des prochaines élections municipales de mars 2020 dans les 31 communes de la métropole de Montpellier tournera autour de l’exigence du retour en régie publique de l’assainissement pour les 31 communes. Cela serait d’autant plus facilement réalisable que la structure de la régie pour l’accueillir est prête.

L’importance du réseau.

La mise en place d’un réseau collecteur sur une zone urbaine joue un rôle décisif dans la qualité de l’assainissement. Il y a d’abord la question de la vétusté de ce réseau. Dans de nombreuses collectivités où il n’a pas été correctement renouvelé, il est fuyard et donc polluant pour le milieu naturel. Une régie publique qui par principe ne recherche pas le profit à court terme et n’a pas à verser des dividendes est la mieux placée pour planifier des investissements de renouvellement du réseau. Avoir une connaissance exacte et honnête de la qualité du réseau doit devenir une exigence citoyenne. Dans les villes les plus anciennes, une bonne partie des égouts collecte à la fois les eaux usées des ménages, des entreprises, mais aussi les eaux pluviales. On parle alors de réseau unitaire à la différence des réseaux séparatifs (réseau des eaux usées séparé de celui de l’écoulement pluvial). Lorsque se produisent des précipitations importantes, ces réseaux unitaires débordent, entrainant un traitement des eaux usées de très mauvaise qualité, détériorant fortement l’environnement naturel. Ce sont les inondations qui sont la cause principale de la pollution des eaux de rivière et des eaux marines du littoral. Il y a donc un enjeu important à développer des réseaux séparatifs. Enfin pour répondre aux effets, sous l’effet du changement climatique, de précipitations de plus en plus abondantes et intenses, la réalisation de bassins d’orage est devenue prioritaire. Alors qu’elle devrait être privilégiée avant toute urbanisation, c’est loin d’être le cas.

Les stations d’épuration (STEP).

Les stations d’épuration récupèrent toutes les eaux usées et les traitent avec des procédés de plus en plus performants techniquement en séparant par la digestion les boues de l’eau. Il y a trois enjeux essentiels liés à une station d’épuration : premièrement elle doit assurer une digestion de grande qualité pour éliminer le maximum de produits polluants ; deuxièmement, elle produit une masse importante de boues dont la destination est un dilemme : soit ces boues sont transformées en compost et transportées vers cet usage ; cette destination est intéressante mais se heurte à deux problèmes : quand la masse de compost produit dépasse les besoins agricoles surtout dans les régions de faible activité agricole et quand cela nécessite le transport quotidien d’une grande quantité de boue génèrant de grosses nuisances de circulation avec forte émission de gaz à effet de serre. Et ce d’autant plus si votre station est en milieu urbain.

Dès lors que l’on se heurte à la difficulté d’écouler ces boues, on procède à leur enfouissement, avec des impacts sur des espaces naturels. L’autre solution consiste à l’incinération de ces boues. Mais avec un inconvénient réel si vous avez des fours d’anciennes générations qui peuvent être en partie polluant. On doit donc étudier avec le plus grand soin les nouvelles formes d’incinération qui filtre la quasi-totalité de la pollution pour ne produire que de la vapeur d’eau, mais il s’agit d’un investissement coûteux qu’il faut savoir assumer. L’avantage tient alors à une diminution considérable des transports et à une production énergétique qui rend autonome la station et qui par ailleurs permet d’approvisionner un réseau de chaleur plus ou moins important pour les habitations environnantes et s’insérer ainsi dans une économie circulaire. À cela il faut ajouter la possibilité d’installer parallèlement à la digestion la production de gaz par le processus de méthanisation.

Abordons maintenant la filière au point une station d’épuration devient alors une usine productrice d’eau brute.

C’est d’autant plus précieux qu’il convient, dans le contexte du changement climatique, de préserver au mieux les ressources d’eau potable provenant des sources et nappes phréatiques. Les stations d’épuration ne peuvent pas produire d’eau potable mais fournir une quantité abondante d’eau brute pour toute une série d’usages : irrigation de l’agriculture notamment maraîchère, irrigation des espaces verts, arrosage des golfs (voire avec interdiction de puiser dans l’eau potable), nettoiement des voiries publiques, nettoyage de la station elle-même grande consommatrice d’eau… Alors que tous les usages des eaux usées traitées par les stations sont désormais autorisés par les autorités sanitaires, la France demeure très en retard par rapport à ses voisins, à commencer par l’Espagne. Le comble est atteint dans des villes comme la métropole de Montpellier dont la station d’épuration une fois modernisée traitera les eaux usées de 660 000 habitants et rejettera jusqu’à 4 m³ secondes dont brute… dans la mer. Dans un contexte de changement climatique qui qui nous oblige à économiser l’eau de source et à lutter contre l’augmentation du niveau des mers, poursuivre dans cette voie est une aberration. Comment accepter que la très grande majorité des rues de nos villes soit nettoyée avec de l’eau potable ?

La mise en place d’une économie circulaire de l’eau est au centre du débat sur l’assainissement. Or on se heurte à des lobbys industriels notamment à celui qui gère l’eau du Bas Rhône, qui redoutent la concurrence qui viendrait du traitement des eaux usées. Ceci alors que le Rhône est en mauvais état, que sa pollution augmente, que son traitement pour créer de l’eau brute est de plus en plus onéreux, que les eaux du Rhône se réchauffent sous l’effet aussi des centrales nucléaires, que son étiage baisse dangereusement année après année… La décision logique et de simple bon sens serait de ralentir le prélèvement de l’eau du Rhône et de lui substituer l’eau brute qui sort des stations.

Enfin le recours à d’énormes stations d’épuration intéresse le lobby industriel des constructeurs de stations, les justifiant au nom des économies d’échelle. Elles peuvent s’imposer pour les très grandes villes mais sont très discutables en zone périurbaine. Le regroupement de deux ou trois communes pour faire des petites stations de qualité est souvent préférable.

Elles peuvent permettre des avancées significatives en matière écologiques, comme l’est par exemple la STEP d’une commune au nord de Montpellier qui a expérimenté avec succès le procédé du lombrifiltre.

Bref, la technicité du dossier de l’assainissement ne doit pas conduire à la désertion du citoyen. Dans la perspective des prochaines élections municipales saisissons nous de l’enjeu de l’assainissement en réclamant le retour en régie publique et la mise en place d’un assainissement écologiquement responsable.

René Revol

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