Leçon de choses

Note du 27 octobre 2014

Après les inondations

Comme disait Hegel, la contingence réalise la nécessité ou autrement dit, des événements et des expériences humaines concentrent parfois en quelques heures des enjeux universels.

Ces moments, où le vécu privé rencontre l’expérience collective aiguisent la conscience de celles et ceux qui les vivent. C’est ce qui nous est arrivé à Grabels, la ville dont je suis le Maire depuis 2008, dans la nuit du  6 au 7 octobre où un torrent venu du ciel a fracassé le village. 336 familles sinistrées, plus de 1000 personnes concernées dont le tiers ne peuvent plus revenir vivre dans leurs logements, plusieurs centaines de véhicules détruits, un pont arraché et des voiries soulevées : le désastre est considérable.

Certes nous avons fait face en pilotant de manière immédiate secours, assistance, relogement etc. et nous ne déplorons aucune victime humaine, aucun blessé. Mais les interrogations fondamentales ont fusé parmi nous dès le lendemain au milieu des opérations de nettoyage. Comment s’organiser au mieux quand de telles intempéries se produisent ? Quelles actions et quels ouvrages sont-ils nécessaires pour la prévention des inondations ? Quelle organisation des services publics pour protéger les populations ? Comment mettre en œuvre au mieux la solidarité ? Mais la question la plus importante venait du constat que ces épisodes méditerranéens de plus en plus fréquents sont liés au changement climatique. Pour les citoyens de ma Commune la question de la lutte contre le réchauffement climatique est devenue un enjeu majeur.

Le service public de sécurité civile est il suffisant ? 

Depuis la révolution française, une des premières missions de la puissance publique au service de l’intérêt général a été celle de la sécurité civile. En tant que Maire, je me dois de garantir la sécurité des biens et surtout des personnes et pour cela, mobiliser les moyens donnés par les services publics. Or nous savons que ces moyens diminuent sous les effets des restrictions budgétaires pratiquées depuis de longues années. Dans la nuit du 6 au 7 octobre, les élus locaux que nous sommes avons dû faire face aux événements avec ces moyens réduits. Le détail de cette soirée ne manque pas d’intérêt.

A 21 heures, en sortant du bureau municipal ; nous consultons les prévisions préfectorales : on nous annonce une vigilance orange « précipitations » et une vigilance jaune « crues ». Rien de bien grave et nous prenons les dispositions liées à cet état. A 22h30, constatant à mon domicile que la pluie devient plus intense, j’alerte les élus et je me rends à la mairie pour réunir un PC de crise. J’ai du mal à atteindre les locaux municipaux, vu la force du courant dans les rues et c’est accroché aux grilles que j’arrive à ouvrir la porte de la maison commune. Avec les élus qui me rejoignent nous déclenchons l’astreinte de tous les services municipaux. Je téléphone à la cellule de crise de la préfecture : elle est aux abonnés absents ; elle n’est pas activée. C’est donc directement avec le service départemental des pompiers, les gendarmes  et la société Prédict (filiale privée de Météo France à laquelle notre Commune s’est abonnée) que nous élaborons notre plan d’action. A 23h30, j’enregistre un message pour le service de télé alerte (service acheté par la municipalité) qui permet de contacter en même temps plus de 2500 numéros de téléphone sur la Commune, message dans lequel j’invite tous les citoyens à ne plus circuler et à se réfugier dans les parties hautes des habitations. Nous ouvrons la salle polyvalente, lieu de refuge d’urgence. L’intervention des pompiers permet de sauver plusieurs personnes dont une qui s’était réfugiée dans un arbre. La crue atteint son maximum à 2h30, un niveau bien supérieur aux crues historiques de 2003, 2002, 1933,1906 ! La décrue s’amorce et, avant l’aube, nous mobilisons la réserve communale qui rassemble une cinquantaine de bénévoles. Cette force d’appoint du service public se rassemble en 15 minutes par l’intermédiaire du service de télé alerte.

Quand on y réfléchit notre Commune a mobilisé dans cette nuit des moyens facultatifs pour venir en soutien aux pompiers. Aucun de ces moyens ne sont obligatoires et ils sont financés par la Commune sans aucune aide de l’Etat : plan communal de sauvegarde (PCS) qui prépare et planifie ces opérations de sécurité civile ; abonnement payant à une société météorologique, achat d’un dispositif de télé alerte, réserve communale. Tout cela devrait être obligatoire, gratuit et faire partie du service public d’Etat.

Fédérer la population dans la solidarité

Le 7 octobre au petit matin, nous constatons l’ampleur des dégâts. Le mouvement de solidarité se met immédiatement en place : le secours populaire arrive avec des vivres, la croix rouge est sur les lieux, les pompiers sont en grand nombre, les services techniques d’une trentaine de Communes alentour viennent spontanément nous aider ; les petites entreprises de la Commune mettent leurs moyens à notre disposition, des centaines de Grabellois bénévoles affluent vers la salle polyvalente, des équipes sont constituées pour faire face à l’ensemble des besoins : déblaiement, nettoyage, fourniture de repas et de vêtements, installation d’une laverie dans les locaux municipaux… Ce dispositif restera en place 13 jours le temps que chacun des sinistrés retrouve un logement d’urgence et les moyens de vivre. Notons aussi que nous avons dû aussi mettre en place un service municipal de conseil sur les assurances car les sinistrés doivent faire face à des traitements très différents selon les assureurs (la concurrence libre et non faussée a là aussi ses effets dévastateurs). Beaucoup sont dans un tel désarroi que, rester calme devant des demandes absurdes (factures quand on a tout perdu !), prendre des photos, faire des listes, agir rationnellement devient parfois très difficile. En conséquence, a été mis en place à la mairie, un service exceptionnel municipal de conseil et de suivi des dossiers de sinistre de tous les citoyens concernés. Cela devrait faire partie des obligations de service public dans de telles circonstances.

Nous avons pu vérifier dans ce moment de crise que la grande majorité des citoyens est disponible pour se mobiliser au service des autres. Nous avons vu une société solidaire et mobilisée : c’est un acquis précieux pour l’avenir.

Non aux coupes budgétaires dans la prévention des inondations

Dans les années 2000 un certain nombre de dispositifs et de financements ont été mis en place pour assurer une meilleure protection contre les inondations afin de mieux protéger les populations ainsi que les biens. Il s’agit notamment du fameux PAPI : Programme d’actions de prévention des inondations. Ce programme lancé en 2007 jusqu’en 2013 a été le fruit de vastes mobilisations citoyennes. Ainsi sur mon village alors que nous venions de subir les inondations de 2002 et 2003 nous avons été un certain nombre de citoyens à constituer non pas une association de riverains qui en général reportent leur problème sur l’aval mais une association citoyenne & environnementale qui s’est mobilisée pour un traitement de l’ensemble du bassin versant. Notre action a abouti à ce que des travaux soient actés dans le PAPI notamment pour écrêter (?) le désormais fameux Rieumassel, l’un des cours d’eau qui traversent Grabels. Elus à la mairie en 2008 nous avons pu réaliser un premier ouvrage soit un immense bassin de rétention dit de l’arbre blanc qui fonctionne depuis 2010 ; il a permis de réguler ces quatre dernières années les crues classiques mais il n’a pas suffi face à la crue exceptionnelle du 6 octobre dernier et je n’ose imaginer les dégâts si nous n’avions pas réalisé ce premier bassin. Or depuis 4 ans les financements sont bloqués ou ralentis. L’austérité est passée par là ! La preuve : le projet de Papi 2 (2015 – 2020) est nettement revu à la baisse par rapport au Papi 1. Ainsi sur le bassin versant nous concernant Lez – Mosson le Papi 1 s’élevait à 54 millions d’euros alors que le papi2 n’envisage pas plus de 16 millions ! Certes nous allons utiliser au mieux ces 16 millions mais cette division par 3 d’un programme qui vise à protéger des vies est inacceptable. D’ailleurs la politique de l’eau subit de plein fouet l’austérité ; ainsi le gouvernement vient de ponctionner 143 millions d’Euros sur le budget de l’agence de l’eau, instrument d’action essentiel dans la politique de l’eau, de l’assainissement et de la lutte contre les inondations. Cela est d’autant plus scandaleux que l’agence de l’eau est financée par une recette dédiée que tout citoyen paye en réglant sa facture d’eau ; cette recette ne peut être allouée qu’à l’eau selon le principe inscrit dans la loi que l’eau paye l’eau. Le gouvernement Valls-Hollande trahit ce principe sans vergogne et pompe le quart du budget de l’eau pour payer les intérêts de la dette aux créanciers de la finance ! La lutte contre les inondations est ainsi intimement liée à la lutte contre l’austérité.

Le changement climatique devenu une réalité sensible

Le lendemain de la catastrophe le 8 octobre dans la cantine improvisée une citoyenne sinistrée me lance « Monsieur le Maire je pense que nous sommes ici des réfugiés climatiques ! ». Chez les habitants de mon village aigüe est la conscience que la catastrophe que nous avons vécue est intimement liée au changement climatique.

Reprenons à ce propos quelques observations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC) dans son rapport de 2007 : La Méditerranée figure parmi les « hot-spots » mondiaux du changement climatique.  La présence d’une mer fermée bordée de reliefs, à l’est d’un vaste océan et au nord d’un des plus grands déserts du monde confère au bassin méditerranéen un climat très particulier.  Le réchauffement et ses impacts sur l’environnement et les populations y seront plus marqués qu’ailleurs, avec d’importantes modifications des températures, une durée des sécheresses, une fréquence des précipitations extrêmes. Parmi celles-ci, les épisodes méditerranéens (qui sont autre chose que les épisodes cévenols classiques) sont les plus destructeurs : ces pluies intenses provoquent des inondations souvent rapides (crues éclairs).

L’urgence écologique exige de lutter contre l’artificialisation des sols et de changer de modèle de développement. On s’en éloigne avec le doublement de l’A9, chantier confié à Vinci, qui va encore accroitre le trafic de camions entre l’Espagne et la vallée du Rhône en lieu et place du ferroutage. De même le projet d’une nouvelle gare TGV excentrée au sud de Montpellier en pleine zone inondable est absurde ! Dans le cadre de l’enquête concernant celle-ci, je me suis prononcé clairement contre son implantation : « pas de gare sous marine ». Une analyse un tant soit peu sérieuse démontre par ailleurs que les seuls bénéficiaires en seraient l’entreprise qui signerait le partenariat public privé (PPP) prévu, et les promoteurs qui n’auraient de cesse de développer dans cette zone leurs projets immobiliers.

Au lieu de couper dans les budgets pour satisfaire aux exigences de Bruxelles l’État devrait œuvrer à une véritable transition écologique et donner aux collectivités locales les moyens de protéger les populations et les territoires. Permettre aux communes de disposer d’un Plan communal de sécurité ambitieux pour faire en sorte que nous puissions tous vivre en sécurité !

Pour conclure je dirai un mot d’une interrogation qui a traversé toutes les conversations. Quand le ciel vous tombe sur la tête, les êtres humains ont tendance à invoquer la fatalité, sidérés par l’ampleur de la catastrophe. Mais peu à peu, la réflexion fait son chemin et recherche la part de la responsabilité humaine. C’est un vieux débat tel celui qui animait en 1755 les philosophes des lumières face au tremblement de terre qui ravageait Lisbonne. Certains, comme Voltaire, invoquait la nécessité pour l’homme de se soumettre à la puissance naturelle ; la soumission à la fatalité ferait partie de la condition humaine. Jean Jacques Rousseau répond : certes, l’homme n’est pas responsable du tremblement de terre, mais c’est l’homme qui a décidé que la majorité des maisons de Lisbonne était en terre et non pas en pierre et c’est donc lui qui porte une part de la responsabilité de la catastrophe. Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre 2014, j’ai observé le cheminement de la même réflexion parmi les citoyens de ma Commune. Il s’agit maintenant d’être à la hauteur des responsabilités politiques que cela implique.

René Revol
Maire de Grabels
Vice-président de l’agglomération de Montpellier
membre du B.N. du Parti de Gauche.

 

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2 commentaires

  1. Bonjour M.Revol,

    Vous avez eu beaucoup de flair en déclenchant précocement ce plan d’action communal d’urgence, ou peu importe comment vous l’appelez, « service d’astreinte », « PC de crise », etc.. Pour cela, les grabellois sinistrés mais encore en vie peuvent vous remercier. Lors des catastrophes méditerranéennes, s’accompagnant de pluies extrêmes, orages diluviens et autres crues éclair, les victimes se trouvent dans des localités où les décideurs locaux n’ont pas pris la mesure de la gravité de la situation. Soit par des moyens de communication défaillants qui empêchent de suivre la situation en temps réel: par exemple lors de la tempête de novembre 1982 en Andorre, tous les réseaux étaient coupés et il y eut des dizaines de victimes. Soit par des décisions antérieures qui ont aggravés la conséquence des inondations: par exemple, lors des inondations de juin 2010 dans le Var, ou les conséquences dramatiques de Xynthia en Vendée en février 2010, ces deux événements ayant fait à eux deux une cinquantaine de victimes, sacrifiées par la négligence des élus locaux sur les risques de catastrophes naturelles.

    Dans ce contexte, la procédure de vigilance lancée par Météo-France depuis 2001 a pour but de prévenir le grand public d’un danger météo et ainsi limiter l’exposition des personnes et des biens aux événements météorologiques dommageables. Cependant, la météo n’est pas une science exacte, et la modélisation météorologique et climatique, bien que supportée par les supercalculateurs les plus puissants au monde (le dernier à Météo-France est capable d’effectuer des millions de milliards d’opérations à la seconde), ne pourra toujours donner qu’une caractérisation approximative et donc entachée d’erreurs de l’état de l’atmosphère et des couches supérieures de l’océan, car les équations physiques de ces écoulements ne peuvent pas être résolues avec exactitude; c’est aussi le principe de l’effet papillon ou attracteur de Lorentz: un battement d’aile de papillon au Brésil peut déclencher une tornade à l’autre bout du monde. Pour faire simple, l’orage diluvien et stationnaire qui a concerné la commune de Grabels en soirée du 6 octobre dernier était dans les limites de l’état de l’art de la prévision météo. Et quand bien même il a été modélisé par les meilleurs modèles météo, l’orage se trouvait à un autre endroit et était moins violent. En revanche, les prévisionnistes de Météo-France, et suite aux précédentes intempéries de septembre, avaient « senti » la potentialité d’un tel événement et lancé une vigilance orange, sans pour autant envisager que l’orage s’acharnerait à ce point sur un domaine aussi réduit. En effet, si les estimations donnent plus de 300 mm du côté de Grabels, il n’en est tombé que 60 à Montarnaud et 5 du côté de Puéchabon. Les modèles météo, avec leur vision 3D de la Terre constituées de briques, qui pour les modèles les plus fins ont des dimensions horizontale de 2.5 km sur 91 niveaux verticaux, sont incapables de proposer numériquement de telles réponses.

    Bref, c’est là tout l’intérêt, vous l’aurez compris, de la vigilance de Météo-France et de la valeur ajoutée de l’expertise de ses prévisionnistes, qu’il ne faut pas négliger, même si ce n’est « que » pour du orange.

    Enfin, il est tentant de désigner le réchauffement climatique responsable de tels phénomènes extrêmes. Ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord, il n’y a pas de corrélation directe entre la température de la surface de la Méditerranée et le nombre d’épisodes méditerranéens ou cévenols (cf le très bon article http://www.meteofrance.fr/actualites?articleId=14885301)
    Ensuite, si c’était aussi simple que cela, on saurait prévoir plusieurs semaines ou mois à l’avance l’occurrence de tels phénomènes. Ce que l’on peut tout de même envisager « logiquement », c’est que la température de l’eau accentue le phénomène lorsqu’il s’enclenche. Mais pour la multiplication des événements depuis le début de l’automne, il s’agit plutôt d’un blocage atmosphérique récurrent, qui a favorisé les remontées chaudes de Méditerranée alimentant des orages diluviens dans les plaines languedociennes. En revanche, la température de l’eau n’est pas un ingrédient nécessaire: lors du déluge de septembre 2002 chez les voisins gardois, la température était déficitaire de 1° par rapport aux normales en Méditerranée, ce qui n’a pas empêché de pulvériser certains records de pluie (700 mm en 24 heures à Anduze par exemple).
    De même, l’île de beauté est baignée cette année par des eaux de surface excessivement chaudes (2 à 3 degrés au dessus des normales) et pourtant l’automne et dramatiquement sec et des incendies s’y déclenchent presque tous les jours, ravageant parfois plusieurs centaines d’hectares.

    Il n’y a pas de consensus sur l’augmentation ou non de ces épisodes méditerranéens avec le changement climatique. Les téléconnections entre océanographie et météorologie sont tellement complexes que le programme scientifique qui s’y consacre, HyMeX, a été étalé sur 10 ans pour essayer de résoudre ces énigmes.
    Il est possible que le nombre de phénomènes extrêmes augmente en Méditerranée, mais peut-on affirmer que la ville de Grabels traversera forcément des cauchemars analogues? Peut-être que non, quand on constate que le terrible orage du 6 octobre a statistiquement une durée de retour bien supérieure à 100 ans..

    Gaétan Heymes

    Citoyen grabellois & prévisionniste à Météo-France

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