L’eau au cœur de la planification écologique.
Président de la Régie publique des eaux de Montpellier, que j’ai contribué à fonder en 2015, et engagé dans les instances du bassin versant Rhône Méditerranée, je veux ici souligner l’intérêt d’une proposition importante de « L’Avenir en commun », programme de l’Union populaire que porte la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. En effet, ce projet politique propose de mettre l’eau au cœur de la planification écologique, indispensable à la bifurcation que nous impose le dérèglement climatique et ajoute que l’instance la mieux qualifiée pour piloter et mettre en œuvre cette planification nous est dictée par la nature avec les bassins versants qui structurent aujourd’hui tout notre territoire national. Il existe six grands bassins versants sur le territoire métropolitain et 5 outre-mer. Ces bassin sont de taille différente, bien entendu, mais leur cohérence est forte, déterminée par la structure hydrologique. Ces bassins sont actuellement gouvernés par des comités avec trois collèges : celui des collectivités locales, celui des services de l’État et enfin celui du monde économique et associatif. Leur bras armé est constitué par les Agences de l’eau, institutions étatiques financées par la redevance payée par chaque usager sur sa facture d’eau et d’assainissement. Nous disposons donc d’un support à partir duquel nous pouvons construire l’outil principal qui portera la transition écologique en rassemblant l’action des institutions publiques et la mobilisation des citoyens.
Le cycle de l’eau bouleversé.
Le dérèglement climatique transforme le grand cycle de l’eau, ce qui entraine des conséquences en chaîne sur toutes les activités humaines. Ce point, largement documenté, est particulièrement sensible sur notre bassin versant méditerranéen. Non seulement la mer Méditerranée monte inexorablement sous les effets de la fonte des glaces du pôle, mais aussi se réchauffe régulièrement. Ce degré supplémentaire de la masse maritime provoque de plus fortes condensations, entraînant une plus grande fréquence et une plus forte intensité des nouveaux épisodes méditerranéens avec des pluies diluviennes et des inondations de plus en plus répétées. Ces épisodes pluvieux intenses, qui étaient autrefois réservés aux côtes, remontent désormais pour se produire sur des latitudes plus tempérées, comme on l’a vu en Allemagne récemment. Le nombre de jours de pluie diminue mais l’intensité de chaque épisode augmente, ce qui a pour effet de diminuer la capacité de recharge des nappes aquifères souterraines, comme la capacité des eaux de surface des fleuves et des rivières. D’autre part, les épisodes de grosses chaleurs et de sécheresse se multiplient et s’allongent dans le temps, provoquant un stress hydrique sur la ressource en eau, une modification de la biodiversité végétale et animale. Par ailleurs, les sols sont affectés par la sécheresse, d’autant plus que la déforestation pour des raisons urbaines ou routières s’accélère, ce qui ne favorise pas la perméabilisation des sols et accroît la puissance du ruissellement.
Raréfaction de la ressource en eau.
La modification du cycle de l’eau entraîne une diminution de la réserve totale en eau sur la planète comme dans notre propre pays. L’eau de surface des rivières et des fleuves diminue et cette baisse de l’étiage des cours d’eau modifie la morphologie aquatique, portant atteinte à la biodiversité animale et végétale des rivières. Cela oblige certains bassins versants déficitaires, comme ceux des fleuves côtiers méditerranéens, à emprunter de l’eau brute à des bassins voisins pour maintenir l’étiage minimal de leur rivière, comme c’est le cas sur mon territoire où l’eau en provenance du Rhône sert à maintenir l’étiage du fleuve côtier du Lez. Or, ce palliatif ne pourra pas durer. En effet, des rapports s’accumulent pour prévoir une baisse de la capacité totale du Rhône de 20 à 30 % dans les 50 ans qui viennent sous l’effet du réchauffement et notamment de la fonte des glaciers alpins qui vont modifier le régime hydraulique du fleuve tout en faisant monter sa température (ce qui par ailleurs menace le processus actuel de refroidissement des centrales nucléaires implantées tout au long du fleuve). Quant aux réserves souterraines des nappes aquifères, elles se réduisent également avec la diminution de l’imperméabilisation des sols et sous l’effet de l’accroissement des ruissellements intensifs. Tous les documents produits par l’Agence de l’eau en attestent. À cela s’ajoute les processus de pollution de certaines nappes qui obligent à limiter ou à fermer certains forages afin de permettre la régénérescence de ces nappes. Bref, autrefois vécue comme abondante et disponible, la ressource en eau se raréfie et impose un changement radical dans sa gestion humaine.
L’acquis des expériences des régies publiques.
Lorsqu’en 2014, dans l’agglomération de Montpellier, après plusieurs années de combat citoyen, nous nous sommes engagés dans la construction d’une régie publique de l’eau, nous nous inscrivions dans un mouvement de fond commencé en 1995 par le retour en régie publique de la gestion de l’eau de l’agglomération grenobloise, à la suite des années de corruption liée à la privatisation précédente. Depuis, le mouvement s’est amplifié avec la Ville de Paris, Besançon, Nice, Rennes, Montpellier et bien d’autres. À la suite des élections municipales de 2020, nous voyons des villes comme Lyon, Bordeaux, Tours, Strasbourg rejoindre le mouvement. Ce mouvement de fond local qui vise à expulser les multinationales de l’eau de sa gestion pour la rendre aux citoyens doit nous amener désormais à franchir une étape supplémentaire en faisant de l’eau un bien de la nation inaliénable. L’eau est un bien commun qui appartient à tous et qui conditionne la vie humaine ; elle ne peut pas être une marchandise source de profit. D’autant qu’à la suite du rachat de Suez par Veolia, nous nous trouvons devant un quasi-monopole dont les profits sont astronomiques en jouissant d’une véritable rente aquatique. Il faut donc chasser les multinationales de l’eau de la gestion de cette ressource vitale. Pour cela, la prochaine mandature présidentielle et législative doit non seulement déclarer l’eau comme un bien commun inaliénable mais construire sa gestion publique sous contrôle citoyen dans chaque bassin versant et sous-bassins versants. Ainsi, concernant le territoire de la région de Montpellier, en nous appuyant sur la régie publique existante qui gère l’eau potable de 15 communes ainsi que l’eau brute et l’assainissement de la totalité de la métropole, rien n’interdit de l’étendre à la totalité du bassin versant de notre fleuve côtier dénommé Lez-Mosson-Etangs-Palavas.
Les régies publiques se fixent les objectifs suivants :
• Garantir l’accès à l’eau potable à tous et notamment aux plus modestes en rendant les premiers mètres cubes gratuits dans la mise en place d’une tarification solidaire.
• Préserver la ressource en eau par une politique d’économie de la ressource en investissant massivement dans le renouvellement des réseaux fuyards, en impulsant des pratiques agricoles et humaines non polluantes dans les périmètres élargis des forages et enfin en instaurant une taxation écologique qui frappe les consommations ostentatoires et dispendieuses de l’eau.
• Mettre en place des systèmes d’assainissement des eaux usées qui puissent en finir avec la pollution de nombreux sites et qui permettent de produire une eau brute de qualité une fois les eaux usées traitées, pour qu’elles servent à différents usages agricoles ou d’arrosage, de rafraîchissement ou de nettoyage en lieu et place de l’eau naturelle dont la ressource est ainsi mieux préservée.
• Et de manière générale, instaurer « la règle bleue », à l’instar de la règle verte qui fait qu’on ne peut pas prendre plus à la nature qu’elle ne peut reconstituer ; utiliser de manière sobre la ressource en eau en privilégiant les usages fondamentaux pour permettre à la ressource de se renouveler.
Pour mener à bien ces missions, ces régies publiques de l’eau ne doivent pas compter uniquement sur la facturation de l’eau payée par les usagers (dont la loi garantit heureusement qu’elle ne doit servir qu’à l’eau et ne pas être accaparée pour d’autres usages, ce qui en soi justifierait l’expropriation des multinationales) mais aussi sur un plan de financement spécial de l’État de soutien aux régies, notamment à travers un plan de renouvellement des réseaux d’eaux potables et d’eaux usées.
Une gouvernance démocratique et citoyenne.
D’ores et déjà, les régies publiques, dès lors qu’elles ont la personnalité morale, ce qui n’est pas toujours le cas, sont dirigées par des conseils d’administration composés en majorité d’élus représentant l’intercommunalité compétente, qui doivent être majoritaires d’après la loi, mais aussi de représentants des associations environnementales ou d’usagers et de représentants du personnel, ainsi que des chercheurs de l’université, comme nous l’avons fait à Montpellier. L’on doit aller plus loin en faisant que dans ces conseils d’administration, les élus issus des collectivités ne soient pas nécessairement majoritaires mais qu’en plus des associations, des personnalités qualifiées et des représentants du personnel soient instituée une représentation citoyenne directe par tirage au sort sur des citoyens volontaires. Une représentation de l’État est aussi nécessaire, notamment pour la mise en œuvre du plan d’investissement spécial cité plus haut.
La région climatique.
L’eau est donc une cause nationale qui nécessite à l’échelle de tout le territoire une véritable planification écologique. En rendant sa gestion publique aux citoyens et en étant motivé par le seul intérêt général, un plan d’ensemble peut se mettre en place. Il est donc naturel que ce plan soit coordonné au sein des régions hydrauliques des bassins versants. Chacun des six grands bassins versants métropolitains, comme ceux d’outre-mer, doit se transformer en ce que j’appelle une « région climatique », capable de décliner ce programme dans le cadre précis de la morphologie hydraulique de son territoire. Vu l’ampleur territoriale de ces bassins (comme c’est notamment le cas pour le bassin Rhône Méditerranée), la région climatique sera relayée à l’échelle de cinq sous bassins par une gestion publique citoyenne intégrée dans le dispositif d’ensemble, avec à chaque fois une gouvernance démocratique. Ainsi nous pouvons, dès les premiers mois, engager une programmation efficace de l’action dans le domaine de l’eau. Nous pouvons ainsi démontrer que la gestion publique de l’eau est à la fois plus juste, plus écologique, plus démocratique mais aussi plus efficace dans l’action, comme l’ont montré les dernières expériences de régie publique de l’eau.
Ainsi nous ouvrons la voie à ce que chacune de ces régions climatiques aille au-delà du domaine de l’eau pour mettre en place la planification écologique, que ce soit en instituant la sobriété énergétique fondée sur des énergies 100 % renouvelables, que ce soit dans un programme de restauration de la qualité de l’air, que ce soit dans une refonte radicale du mode d’urbanisation pour garantir à la fois l’accès au logement pour tous et le maintien des espaces naturels, que ce soit dans la défense de la biodiversité indispensable à l’équilibre de la vie sur la planète.
René REVOL
25/02/2022