Attaché à commémorer chaque 9 décembre l’anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’État du 9 décembre 1905, j’ai été intéressé par l’initiative de la mairie de Montpellier d’organiser une journée de débats et de conférences à cette occasion. J’avais moi-même répondu à l’excellente initiative de la mairie de Prades-le-Lez en participant à un débat sur ce thème aux côtés de Nicolas Cadène le 22 novembre dernier.
Les discours dominants actuels sur la laïcité étant profondément pollués par l’offensive de l’extrême droite pour en faire un moyen de discrimination contre nos compatriotes musulmans, il est important de se mobiliser pour revenir aux fondamentaux de la loi de 1905, fondement de notre République. Or, de ce point de vue, la journée montpelliéraine du 9 décembre a de quoi décevoir. Outre le charabia mélangeant respect de la laïcité et lutte contre le communautarisme, tous les deux nécessaires mais ne devant pas être confondus, on peut également s’étonner de la sélection des différents intervenants aux tables rondes. Celle-ci semble avoir fait la part belle aux intellectuels pro-gouvernementaux qu’utilisent actuellement les ministres Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa pour mener leur croisade soi-disant républicaine et qui de fait est une croisade contre les musulmans. On peut ainsi vivement regretter l’absence d’association laïque locale qui combat sans relâche depuis des décennies pour le respect de la laïcité, qu’il s’agisse de la Libre Pensée ou de la grande organisation d’éducation populaire que constitue la Ligue de l’Enseignement, présidée à Montpellier par le Professeur émérite de droit public, Michel Miaille. Pour parler de personnalités politiques qui ne sont pas de ma sensibilité, on aurait pu penser que le maire socialiste de Montpellier aurait pu inviter un socialiste célèbre sur ce sujet, Jean-Louis Bianco, qui a dirigé l’Observatoire de la laïcité, avant que le trio gouvernemental cité plus haut ne le dissolve brutalement l’année dernière. Bref, dans la confusion générale des idées, faisons un petit effort pour essayer de rappeler de manière simple en quoi consiste la laïcité telle qu’elle a été établie par la loi de 1905, présentée par Aristide Briand et brillamment défendue par Jean Jaurès.
Préalablement, rappelons que le mot laïcité, qui n’est pas utilisé dans la loi, a été introduit à la fin du XIXe siècle par Ferdinand Buisson, le père de l’école laïque, qui précise qu’il fait référence ainsi au mot grec de laos. On peut ainsi distinguer trois termes grecs pour désigner le peuple : l’ethnos, qui désigne le peuple comme communauté historique parfois raciale et le plus souvent comme produit d’une histoire culturelle et linguistique ; le demos, le peuple politique qui constitue la communauté de citoyens pouvant être appelée à se gouverner elle-même dans une démocratie ; et le laos qui désigne le peuple tout entier dans son unité garantie au-dessus des divisions ethniques et politiques. À partir de là, la laïcité est au fondement même de la République comme un régime politique fondé sur l’intérêt général dépassant les appartenances particulières.
Maintenant, en quoi consiste la loi de 1905 ?
1 – Le principe de base : la République garantit la liberté de conscience pour chaque personne. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire, chacun est libre de penser librement. Seule l’expression publique de ses convictions peut-être restreinte pour des motifs d’ordre public.
Ainsi, par exemple, la critique de la religion fait partie de la liberté d’expression. En France, le blasphème ne fait donc pas l’objet d’une interdiction. La défense de cette liberté a toujours été promue par les Républicains. L’État ne doit en aucun cas se mêler à cette critique, si ce n’est pour permettre à chacun de l’exprimer sans craindre de représailles. Dès lors, un républicain se doit de ne pas avoir la laïcité à géométrie variable. Or, actuellement, on observe l’extrême droite maquiller sa haine des immigrés en critique de la religion musulmane, mais dans le même temps s’abstenir de toute critique lorsqu’un membre du clergé catholique prétend que les lois de l’Eglise sont au-dessus de la République.
2 – Il y a une séparation totale entre les Eglises et l’État. L’État ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Ce principe de neutralité de l’État, au cœur de la loi de 1905, implique que les agents du service public soient soumis à un ensemble de règles participant du principe de laïcité.
Il cloue ainsi une longue période inspirée par la monarchie absolue de l’Ancien Régime, qui utilisait la religion catholique dominante pour asseoir son pouvoir absolu. Les guerres de religion ont marqué l’émergence de la modernité en France et la loi de 1905 vient boucler une longue évolution politique qui met à distance de la sphère publique les conflits religieux. Ainsi, la laïcité n’est pas une simple tolérance. À la suite de Montaigne et de l’Edit de Nantes, une première étape de sécularisation s’est faite sous le drapeau de la tolérance, qui signifie qu’il y a une religion dominante et que celle-ci tolère l’existence d’autres religions. Lorsque l’on transfert, en 1791, l’État civil des paroisses vers les maisons communes municipales, on manifeste ainsi le passage de la tolérance à la neutralité de l’État : sont ainsi enregistrés tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions, manifestant ainsi le principe d’égalité de tous devant la loi. Ce principe de stricte neutralité n’est guère respecté par certaines autorités de la République lorsque celles-ci participent avec leurs insignes républicains à des manifestations religieuses. Je ne crois pas que cela ait été dénoncé lors de la journée montpelliéraine du 9 décembre.
3 – A partir du moment où sont garantis la liberté de conscience pour tous et la séparation des Eglises et de l’État, la République se doit de garantir la liberté des cultes, de tous les cultes, dans le respect de la loi et de l’ordre public.
Ainsi, la loi de 1905 fait partie du grand bloc des libertés républicaines établi par les lois de 1880 à 1914, à côté des lois qui garantissent la liberté de la presse en 1880, la liberté communale en 1884, la liberté syndicale en 1884, la liberté d’association en 1901, le droit à l’instruction gratuite, obligatoire et laïque… La loi de 1905 est donc une grande loi de liberté permettant à chacun d’exercer la religion ou la philosophie de son choix, dès lors qu’il respecte la liberté des autres et l’ordre public.
En revenant systématiquement à ces trois principes fondateurs on peut mettre facilement à distance l’offensive réactionnaire de l’extrême droite et d’une bonne partie du gouvernement de M. Macron pour utiliser la laïcité à des fins discriminatoires contre une partie de la population. De ce point de vue, la loi est souvent confondue pour servir cette cause avec ce qui relève simplement de l’ordre public et non de la laïcité. Par exemple, l’interdiction du voile intégral ne découle pas du principe de laïcité mais constitue une mesure d’ordre public – pouvoir identifier chacun dans l’espace public, ce qui ne peut être fait qu’en montrant son visage.
Ainsi, il est ridicule et dangereux de faire signer par les associations des chartes de la laïcité conditionnant l’octroi de subventions, comme le prévoit la dernière loi macronienne de lutte contre le séparatisme. La laïcité ne peut faire l’objet d’un contrat négocié. C’est la loi, elle s’impose à tous. La possibilité d’y déroger n’existe pas et en ouvrant la possibilité de signer ou de ne pas signer une telle Charte, on introduit cette possibilité tout en remettant en cause la liberté d’association dans le respect de la loi, comme en dispose la loi de 1901.
Enfin il ne faut pas confondre le respect de la laïcité avec la problématique plus globale de l’intégration sociale des populations issues de l’immigration. La question de l’intégration passe par une politique globale intégrant tous les aspects de la vie sociale : accès de tous à l’éducation, accès de tous à l’emploi et donc un revenu régulier, accès de tous à la santé gratuite, accès de tous un logement décent dans le cadre d’une politique urbaine de mixité sociale… La laïcité garantit le cadre républicain de l’État et ne peut donc servir de prétexte aux insuffisances de ses politiques sociales qui condamnent ces populations à vivre entre soi. On peut effectivement constater que des individus vivant dans un cadre communautaire peuvent être particulièrement soumis à la pression idéologique et sociale d’une croyance particulière. On ne lutte pas contre cela sans apporter les moyens matériels et légaux qui permettent aux individus de s’émanciper et de faire valoir leurs droits. La confusion entre le principe de laïcité qui organise l’État et la sociologie de l’intégration a fait beaucoup de dégâts et on a pu vérifier lors du colloque montpelliérain que l’on mélange tout dans discours approximatif et militant manquant de rigueur, ce qui nourrit les offensives réactionnaires à l’ordre du jour au nom de la laïcité.
René REVOL
16/12/2021