Ce que nous appelons la “règle verte” peut se résumer ainsi : on ne doit pas prendre à la nature plus qu’elle ne peut renouveler chaque année. Cette règle devrait s’imposer à toutes les activités humaines si nous voulons sauver l’écosystème humain de la catastrophe annoncée par le changement climatique à l’œuvre. De fait, elle devrait devenir un principe constitutionnel contraignant nous amenant dans la décennie à changer radicalement nos modes de production et de consommation. Elle s’applique à de nombreux domaines, par exemple dans la production et la consommation énergétique, dans l’agriculture et toutes les activités connexes, etc.
Aujourd’hui, nous proposons de l’instituer dans le domaine vital de la ressource en eau. L’actuel changement climatique qui frappe notre planète va entraîner une pression phénoménale sur la ressource en eau faisant diminuer les ressources souterraines comme l’étiage des cours d’eau. Ce phénomène généralisé va frapper toutes les régions du globe à différentes ampleurs. Dans notre pays pourtant doté d’un climat tempéré, et particulièrement dans sa partie méridionale et méditerranéenne où le climat évolue lentement vers une situation très tropicale, la diminution de la ressource globale en eau va également s’accentuer. D’ores et déjà certains bassins versants méditerranéens en France sont en déficit hydrique, par exemple dans la région du Languedoc avec un département davantage frappé par ce phénomène : l’Aude. Ainsi si on examine la situation du grand montpelliérain, qui me concerne au premier chef, la pression démographique est très forte avec désormais plus de 600 000 habitants sur ce bassin de vie exerçant une pression hydrique croissante sur une ressource qui décroît. Ainsi, si nous faisons un bilan global de cette zone, nous constatons qu’elle retire de ses propres ressources près de 30 millions de mètres cubes mais et qu’en même temps annuellement elle doit importer plus de 40 millions de mètres cubes pour satisfaire la demande en eau potable, celle en eau brute pour l’irrigation agricole et celle (également) permettant le maintien de l’étiage des rivières nécessaire à la préservation de la biodiversité. Il s’agit donc d’un territoire en déficit hydraulique. La ressource externe principale est l’eau du Rhône amenée par la société PRL avec le canal Philippe Lamour qui va jusqu’au biterrois et qu’on envisage de poursuivre jusqu’au département de l’Aude. Pendant longtemps, on a jugé cette ressource abondante et sans limite à l’image de ce fleuve le plus puissant de France. Cette illusion est désormais dissipée puisque, comme le confirme un rapport présenté à l’agence de l’eau Rhône Méditerranée, le Rhône va voir son débit diminuer de 30 % d’ici 2100 ainsi que sa température moyenne augmenter de 2° (ce qui ne sera pas sans effets sur le refroidissement des centrales nucléaires qui en dépendent). On doit donc envisager également une baisse de cette ressource externe. On voit donc l’urgence de la mise en place d’une règle verte s’appliquant à l’eau pour que l’on n’extrait pas plus d’eau qu’actuellement.
En quoi consistent les différentes mesures possibles de mise en œuvre de cette règle verte de l’eau ?
D’abord, doit être mis en œuvre un vaste programme d’économie de l’eau potable et de l’eau brute. Cela passe d’abord par un investissement massif dans le renouvellement des réseaux pour que d’ici 2030 toutes les collectivités atteignent un rendement supérieur à 90%. Il est inadmissible que dans certaines communes le réseau vétuste et non renouvelé atteigne parfois des pertes de 50 ou 60%. La lutte contre ce gaspillage est une priorité de l’action publique. On a pu ainsi constater que lorsque la régie publique des eaux de Montpellier s’est instituée à partir du 1er janvier 2016 le rendement de son réseau qui stagnait avec l’ancien délégataire privé s’est nettement amélioré en passant de 79 % à 84 % en cinq ans, ce qui permet d’espérer le franchissement des 90 % bien avant la fin de la décennie. Tous les territoires doivent s’engager dans cette entreprise. Naturellement cela doit s’accompagner d’une économie de l’eau potable dans tous les usages, qu’il s’agisse de la consommation des particuliers ou de celle des industries et du monde agricole. On a pu aussi vérifier qu’un changement de paradigme s’imposait dans la gestion des espaces verts communaux pour y implanter des espèces méditerranéennes moins gourmandes en eau. Ainsi, dans ma commune entre 2010 et 2016, cette politique systématique menée par des services très motivés ont permis de faire baisser la consommation d’eau de 60 %. On pourrait multiplier de nombreux exemples de bonnes pratiques permettant des économies dans les gaspillages et assurant ainsi l’accès à l’eau potable pour tous.
Ensuite, nous devons augmenter l’usage collectif d’une source exceptionnelle d’eau brute qui provient de l’activité humaine et non pas directement d’une ressource naturelle : je veux parler bien sûr des eaux usées une fois traitées qui sortent des stations d’épuration. À ce jour, dans cette réutilisation des eaux usées traitées notre pays est particulièrement en retard. Il est discutable de voir qu’aujourd’hui on nettoie les rues des grandes villes avec le réseau d’eau potable, de voir des espaces verts ou même des golfs utiliser cette ressource ou encore faire venir de l’eau du Rhône à plus de 150 kms pour irriguer les zones agricoles ou maintenir l’étiage de nos rivières. Il faut donc investir dans la montée en charge de la qualité du traitement de ces eaux usées pour en faire une eau brute utile. Un plan national d’investissement dans la réutilisation des eaux usées devrait être mis à l’agenda de la relance économique au lieu de subventionner les entreprises consommatrices en énergie fossile ! Sur le territoire montpelliérain, nous nous lançons dans un investissement majeur sur la plus grosse station d’épuration, à hauteur de 150 millions d’euros, permettant ainsi une économie considérable de notre ressource d’eau potable. À l’heure où le réchauffement climatique produit une lente montée de la Méditerranée, il est aberrant de renvoyer cette eau recyclée dans la mer comme on le fait de nos jours.
Enfin, nous proposons une modification législative majeure. Il s’agit de faire de la ressource en eau un argument opposable à tous les projets urbains. Expliquons-nous. Actuellement, nous disposons d’un document élaboré par les agences de l’eau qui est le « schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) » qui s’impose aux collectivités et notamment aux intercommunalités qui ont désormais la plupart des compétences concernant l’eau. À l’intérieur de ce document existe le programme de gestion des ressources en eau (PGR) qui définit avec précision le niveau des ressources souterraines disponibles pour un territoire et qui donne des orientations nécessaires pour maintenir le niveau de cette ressource. Ce document de la plus haute importance n’est malheureusement pas opposable aux différents acteurs du territoire et notamment aux collectivités et aux aménageurs urbains. Nous proposons que ce document devienne opposable et que la création d’un nouvel aménagement urbain soit conditionnée au maintien de la ressource aquifère. Actuellement les aménageurs arrivent dans les communes avec des propositions de centaines de logements supplémentaires et le seul document opposable est naturellement le plan local d’urbanisme. Nous appelons de nos vœux une modification législative que nous formulerons dans le détail avec un atelier législatif citoyen. D’une manière générale, le droit à l’environnement doit être prioritaire sur le droit à l’urbanisme. C’est un changement vital de paradigme dans l’aménagement de nos territoires.
René Revol