(Crédit image : francetvinfo.fr – Raphaël Godet)
L’histoire ne se répète jamais mais les comparaisons peuvent aider à la réflexion et donc à l’action. Ce qui vient de se passer à Washington ce 6 janvier est à la fois exceptionnel et significatif. Des milliers d’Américains nourris par la propagande d’extrême droite et le soutien tacite d’une partie de la droite, radicalisés par le discours du président sortant, ont pris d’assaut les institutions parlementaires américaines dans l’espoir de les renverser. Sans s’attarder ici sur les circonstances américaines, on voit tout de suite une similitude avec les événements du 6 février 1934 en France. À l’appel des associations d’anciens combattants et de ligues d’extrême droite dont les « Croix de Feu » et l’action française, des dizaines de milliers de manifestants se sont dirigées vers le Palais-Bourbon pour tenter d’envahir et de renverser l’Assemblée Nationale, provoquant des affrontements violents avec les forces de l’ordre, le tout se soldant par plusieurs morts. C’est une constante de l’extrême droite de s’attaquer au suffrage universel et plus particulièrement à la forme parlementaire de la démocratie. Cet événement a révélé non seulement le danger fasciste, qui à l’époque s’inspirait de l’Italie mussolinien et de l’Allemagne hitlérienne, mais aussi la crise profonde de la démocratie parlementaire et la profondeur des fractures sociales provoquées par la crise économique mondiale des années 1930. Dans ce contexte il est intéressant d’observer les positions des uns des autres notamment dans la gauche et la logique des événements. Ainsi, une partie de la gauche radicale se mêle à la manifestation du 6 février, notamment l’association des anciens combattants du parti communiste français, qui poursuit ainsi la ligne politique dite de la « troisième période » inspirée par Staline qui, depuis 1929, présente le parti socialiste comme l’ennemi principal avant le fascisme. Le Secrétaire Général du parti Communiste Allemand allant jusqu’à déclarer après l’arrivée d’Hitler au pouvoir : « après Hitler, ce sera notre tour ». On connaît la suite avec des milliers de militants communistes qui furent les premiers à périr dans les camps de concentration, précédent les socialistes, les francs-maçons, les juifs, les homosexuels, les tziganes… dans les jours qui suivent, le parti communiste français fait machine arrière et appelle à la mobilisation antifasciste. Par ailleurs, une partie de la gauche notamment dans le parti radical et le parti socialiste, s’en remettent à une union sacrée avec la droite parlementaire pour une défense abstraite de la république. Naturellement, une telle alliance ne peut que nourrir l’extrême droite qui cherche à utiliser le mécontentement populaire. Là aussi le parti socialiste de l’époque, la SFIO, se ressaisit et appelle à l’unité d’action des partis de gauche contre le fascisme. Finalement les communistes et les socialistes appellent à de grandes manifestations antifascistes le 12 février mais ils le font sur des parcours différents. Le peuple des ouvriers, employés, fonctionnaires et paysans répond en masse à ses appels et impose dans la manifestation du 12 février que les deux cortèges se rejoignent pour n’en former plus qu’un seul. Alors que jusque-là, les rencontres entre manifestations socialistes et communistes se finissaient par des bagarres, il fut impressionnant de voir les deux cortèges se rejoindre au cri unique de « unité ! ». Ainsi s’est forgée la puissance populaire qui s’imposera en mai 1936 dans la victoire électorale du Front Populaire et en juin dans la grève générale qui arrachera les 40 heures et les congés payés.
Les États-Unis de 2021 ne sont pas la France de 1934. Mais cela nous aide à penser le moment présent. La société américaine est profondément en crise sous l’effet des ravages de la dictature du capital financier qui exerce sa férule sur la première puissance économique du monde. Le pays est rongé par un développement exceptionnel des inégalités sociales : depuis 30 ans, le revenu de la majorité des Américains n’a pas cessé de baisser et ce sont plusieurs dizaines de millions d’habitants qui ont sombré dans la pauvreté. En même temps le changement climatique entraine une multiplication des catastrophes naturelles sur le territoire américain. Enfin, la grande majorité des Américains ne s’estime pas représentée par la caste politique. Tous ceux qui ont visité les États-Unis ces dernières années ont remarqué le contraste grandissant entre une toute petite minorité de plus en plus riche aux mœurs ostentatoires, et une majorité appauvrie, faisant des États-Unis l’un des premiers pays du tiers-monde. Dans ce contexte, en 2016, le parti démocrate a porté une lourde responsabilité en faisant que les délégués « officiels » désignés à la Convention par l’appareil ont permis de renverser la majorité qui s’était prononcée pour Bernie Sanders en faisant désigner Hilary Clinton, qui a symbolisé l’oligarchie rejetée par la majorité populaire. Cela a ouvert un boulevard à la démagogie du milliardaire Donald Trump qui a pu canaliser le mécontentement populaire au profit de sa politique d’extrême droite. Aujourd’hui, dans la mobilisation électorale pour le candidat démocrate, ce qui vient de se confirmer en Géorgie, se manifeste une volonté populaire de transformation sociale et politique. Bien sûr, il faut s’unir dans l’action pour faire échec à la mobilisation antiparlementaire de l’extrême droite mais cela ne doit pas se faire au nom du maintien du statu quo. L’Amérique est aujourd’hui secouée par de profondes mobilisations sociales et sociétales qui appellent à s’unir pour un monde meilleur.
Les États-Unis connaîtront ils un 12 février ?
Le 7 janvier 2021
René Revol