La liberté condition de la sécurité, et non l’inverse !

L’épidémie de Covid-19 vient s’ajouter à la longue liste des menaces nouvelles venant justifier des restrictions de libertés au nom de la sécurité des citoyens, comme on le voit avec les justifications du gouvernement d’Emmanuel Macron pour essayer de faire adopter la funeste « loi sur la sécurité globale ». Face à cela, certains se bornent à dénoncer, par principe, toute restriction de liberté, au motif que la recherche de sécurité ne serait qu’un prétexte pour asservir les citoyens. D’autres, à l’inverse, se contentent de justifier toute limitation de liberté dès lors qu’elle permet de se prémunir contre un risque. Il est donc important de rappeler à chacun, sinon la place respective de la liberté et de la sécurité dans un régime démocratique, du moins les données de l’arbitrage entre ces deux principes souvent contradictoires, parfois complémentaires.

La sécurité est relativement simple à définir. Elle est à la fois une situation et un sentiment. Objectivement, être en sécurité signifie être à l’abris des risques. Subjectivement, se sentir en sécurité revient à ne pas être dominé par la peur.

La liberté en revanche peut être abordée de multiples manières. On peut la considérer comme une situation naturelle d’un être qui ne se trouve pas en captivité. Les juristes la qualifient alors de « liberté individuelle » et y attachent des droits comme celui de pouvoir se défendre devant un tribunal. On peut également voir la liberté comme une situation sociale, où l’organisation de la société permet à celui qui en fait partie de participer à la vie commune et de jouir des plaisirs de la vie. Benjamin Constant distingue ainsi la liberté des Anciens, qui consiste à être un citoyen impliqué dans la vie de la cité, disposant de droits politiques, de la liberté des Modernes, qu’il désigne comme étant la jouissance paisible des bonheurs privés. De toutes ces distinctions conceptuelles découlent des droits bien réels dont nous bénéficions aujourd’hui dans certains pays libres, tels que le droit d’aller et venir, le droit de fonder une famille, le droit de propriété, mais aussi le droit d’exprimer son opinion librement, le droit de vote, le droit de participer à l’exercice du pouvoir, la liberté syndicale et associative etc.

Or, on entend souvent dire que la sécurité serait la première des libertés. Cette affirmation semble reposer en effet sur une évidence : dans un environnement où la violence peut venir à chaque instant frapper le citoyen, celui-ci ne peut jouir pleinement des libertés auxquelles il a droit. La menace l’empêche d’agir librement. C’est ce qui justifie l’existence d’un Etat disposant du monopole de la violence physique légitime, selon l’expression de Max Weber. La police, placée au service et sous le contrôle du peuple souverain, fait respecter des lois votées démocratiquement, ce qui permet à chacun de bénéficier de sa liberté, dès lors qu’il n’empiète pas sur celle des autres. Ce principe élémentaire, théorisé notamment par Thomas Hobbes, voit dans la liberté une propriété de l’individu que la vie en société menace. Dès lors que l’on considère comme Thomas Hobbes l’homme comme un loup pour l’homme, une force régulatrice, indépendante des intérêts particuliers, est nécessaire pour garantir la liberté de chacun, quitte à la limiter au nom de la sécurité de tous.

Mais la recherche de sécurité ne saurait être considérée comme la première des libertés, parce qu’elle est aussi la principale menace pour la liberté. Une situation de sécurité absolue est une situation de maitrise totale par la force publique de la vie des citoyens. Comme le dit l’avocat et académicien François Sureau, sur le ton de l’ironie, si le Moscou de Staline ou l’Italie de Mussolini étaient des havres de liberté du fait de la sécurité qui y régnait, cela se saurait. L’exercice d’une liberté comporte nécessairement un risque. L’exercice de la liberté d’entreprendre comporte le risque de l’exploitation des salariés. L’exercice de la liberté syndicale et du droit de grève comporte le risque d’un blocage économique. L’exercice de la liberté d’aller et venir comporte un risque si elle n’est pas encadrée par un code de la route. Mais tout le monde s’accorde à dire qu’il serait futile d’interdire de montrer une entreprise, de faire grève ou de se déplacer en voiture au motif que l’exploitation des salariés est possible, qu’une grève a un coût ou qu’un accident de la route peut arriver. Les craintes exprimées à l’égard des privations de libertés visant à lutter contre l’épidémie sont donc justifiées, car le risque épidémique ne sera jamais éradiqué, sauf à vivre dans une société aseptisée.

Les menaces terroristes et épidémiques ont ceci de puissant qu’elles nous pétrifient au point d’accepter de ne plus jouir des deux grandes catégories de libertés. Non seulement nous renonçons aux libertés telles que celle d’aller et venir, comme en témoigne le confinement, mais également aux droits politiques élémentaires tels que le débat parlementaire, la consultation démocratique. C’est pourquoi la liberté des autres ne peut, et ne doit pas être vue comme la seule limite de la nôtre. La liberté n’est pas une propriété, un bien comme les autres ainsi que le pensaient certains philosophes libéraux. Comme l’écrit Rousseau dans le Contrat social, la liberté touche à ce que nous sommes en tant qu’êtres humains, à notre dignité particulière et irréductible. C’est pourquoi en France, la liberté est la règle et la restriction de police l’exception, comme le disait le commissaire au gouvernement Corneille en 1917.

En définitive, la liberté s’avère être la première des sécurités. C’est la liberté de la presse ou celle des parlementaires d’opposition qui nous permettent de contrôler l’action d’un gouvernement enclin à restreindre les libertés des citoyens. C’est la liberté d’expression, le droit de grève ou celui de manifester qui nous permettent de protester contre l’arbitraire du pouvoir. C’est la liberté de conscience, sur laquelle se fonde le principe de laïcité, qui nous permet de croire ou de ne pas croire, de ne pas subir les prescriptions morales des curés comme des préfets. Si restreindre les libertés est nécessaire pour en jouir, les exercer est nécessaire pour en conserver le bénéfice.

La liberté est une condition de la sécurité en ce qu’elle permet au peuple de s’instituer en gouvernant de lui-même et de construire ainsi à la fois son émancipation et sa paix civile.

René Revol.

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