Des croyances et de « la vallée de larmes ».

Ces temps de crise profonde de la société sont propices à la recrudescence de toutes sortes de croyances.

Une croyance est affirmation sans preuve, acte de foi dans une idée ou une proposition non démontrable rationnellement, dépourvue de preuves vérifiables. De même que chacun de nous a ses propres rites du quotidien, nous nous accommodons dans notre vie de certaines croyances personnelles sans les soumettre à la critique. Sans réelle incidence dès lors qu’elles restent anodines et n’induisent pas une vision du monde propre à donner du crédit à ce qu’on appelle désormais des « fausses nouvelles ». Avec une propagation via les réseaux sociaux de ce type de « croyances » qui deviennent vite aujourd’hui virales.

Les croyances religieuses occupent quant à elles une place particulière, pour plusieurs raisons. Il ne s’agit pas en premier lieu de croyances fugaces ; elles font doctrine et s’ordonnent selon des rites plus ou moins stabilisés à travers l’histoire ; elles transmettent des grilles d’interprétation de nature théologique. La religion induit ensuite une relation au surnaturel et au sacré propre à donner au croyant le sentiment de pouvoir échapper à sa condition mortelle, avec promesse d’un au-delà. La conviction religieuse enfin inscrit le croyant dans une relation collective, dans une communauté plus ou moins structurée. Le caractère ecclésial (ou cléricale) de l’exercice de la croyance conforte l’affirmation d’une identité collective apte à générer prosélytisme et esprit de conquête. La croyance peut ainsi participer de la domination politique et de la construction des empires. Tout cela est bien connu de la science historique. Un processus de sécularisation a progressivement séparé le champ des croyances religieuses, relevant de la liberté de conscience de chacun, et le champ du politique en charge des pouvoirs publics, processus dont la forme républicaine de la laïcité et la pointe la plus avancée et constitue un acquis fondamental pour l’époque actuelle.

Ce qui caractérise le monde actuel est le fait suivant : les croyances stabilisées, telles qu’instituées dans les « églises » traditionnelles des différentes religions, se trouvent confrontées et concurrencées par des croyances parallèles qui trouvent un écho de masse.

Si les religions traditionnelles ont subi et (plus ou moins) intégré le processus de sécularisation des sociétés, il n’en est pas de même avec l’émergence des nouvelles croyances. Se pose dès lors la question de comment y faire face. Ces croyances, souvent ésotériques, résistent aux arguments rationnels ; la discussion achoppe face aux croyances fallacieuses et au relativisme croissant de nos interlocuteurs vis-à-vis, entre autres, des résultats de la science, malgré le solide socle d’expérimentations et de preuves dont elle dispose. Comment lutter contre ces croyances irrationnelles, y compris religieuses ?

À l’adolescence, autour de mes 15 ans, il m’est apparu loufoque de croire qu’une femme vierge ait pu donner naissance à un enfant, que cet enfant était le fils de Dieu et que celui-ci devenu adulte ait pu marcher sur l’eau et ressusciter les morts… J’ai cru bon alors de m’engager dans un prosélytisme athéiste militant, de chercher à convaincre autour de moi des jeunes croyants. Un échec total ! Le recours à la raison hier comme aujourd’hui ne suffit pas à écorner les croyances. Je m’en suis à l’époque ouvert auprès d’un professeur d’histoire de ma classe de première, Celui-ci m’expliqua patiemment que les croyances surnaturelles étaient produites par la situation d’une société de misère et sans espoir, qu’il était en conséquence vain d’être un athée militant. Mieux valait s’attacher à changer le monde dans un sens émancipateur plutôt que de s’évertuer à changer d’abord les esprits. Il me donna alors un texte qui fut pour moi ma première découverte d’un auteur que je ne connaissais pas, dont j’entendais cependant parler souvent, en mal la plupart du temps. Il s’agit de Karl Marx et de son texte (reproduit ci-dessous) écrit en 1843. À l’époque le jeune Marx de 26 ans, en fin d’études de droit et de philosophie en Allemagne, participe à des cercles de jeunes révolutionnaires souvent qualifiés d’ « hégéliens de gauche ». On y discute vivement de la pensée d’un philosophe contemporain – Ludvig Feuerbach – qui prône un humanisme fondé sur la critique de la religion. Marx lui conteste l’idée que l’émancipation ne puisse passer que par la critique de l’aliénation religieuse ; il est convaincu que l’on ne peut se libérer de l’aliénation religieuse si on ne met fin à l’aliénation économique et sociale. Bref il passe de la critique de la religion à la critique d’un monde qui produit la religion. Ce texte de 1843 est l’un des plus beaux textes à ce sujet ; je vous invite à vous en imprégner dans le détail. Vous comprendrez notamment le contresens qui a été fait dans l’histoire de son expression « opium du peuple ». Ainsi la religion et les différentes croyances par un religieuse ont une double nature : d’une part une illusion sur l’éternité qui nourrit la résignation dans ce monde et d’autre part, en même temps, elles sont à leur manière une protestation contre l’injustice de ce monde. Nous devons donc toujours nous inspirer de cette double nature quand nous voulons combattre ses illusions. En espérant que le retour à cette source philosophique nous aidera à poursuivre l’action émancipatrice pour transformer cette « vallée de larmes ».

René Revol

Marx, extrait de : Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, 1843

« Pour l’Allemagne, la critique de la religion est finie en substance. Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique.

L’existence profane de l’erreur est compromise, dès que sa céleste « oratio pro aris et focis » (« discours pour les autels et les foyers », c’est-à-dire pour Dieu et la patrie.) a été réfutée. L’homme qui, dans la réalité fantastique du ciel où il cherchait un surhomme, n’a trouvé que son propre reflet, ne sera plus tenté de ne trouver que sa propre apparence, le non-homme, là où il cherche et est forcé de chercher sa réalité véritable.

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, par plus est très judicieux ce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.

La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même.

L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »

Des croyances et de « la vallée de larmes ».

Par ces temps de crise profonde de la société, des croyances de toutes sortes se propagent dans les esprits. Une croyance est une affirmation sans preuve, un acte de foi dans une idée ou une proposition sans qu’on puisse les démontrer rationnellement et y apporter des preuves vérifiables par tous. Nous fonctionnons tous plus ou moins avec des croyances pour notre vie quotidienne sans qu’il soit besoin de les démontrer et parfois on découvre à travers une expérience concrète qu’elles sont fausses. Mais il y a des croyances d’une plus grande ampleur qui concerne une vision du monde et qui permettent aux gens de donner du crédit à ce qu’on appelle désormais des « fausses nouvelles ». Et effectivement de nos jours nous voyons se propageaient via les réseaux sociaux des croyances non rationnelles. Parmi les croyances, les croyances religieuses occupent une place particulière pour plusieurs raisons. D’abord, ce ne sont pas des croyances fugaces mais un système organisé plus ou moins stabilisé à travers l’histoire, fournissant des grilles d’interprétation et constitue le théologie. Ensuite, la religion induit dans la croyance une relation au surnaturel et au sacré qui permet à l’homme d’avoir le sentiment d’échapper à sa condition mortelle. Enfin, la conviction religieuse personnelle s’inscrit dans une relation collective que constitue les églises plus ou moins structurées. Et lorsque la croyance s’institue collectivement dans une église, elle participe alors de l’identité collective et et peut alors générer prosélytisme esprit de conquête. Elle devient alors un instrument de la domination politique et de la construction des empires. Tout cela on le sait et constitue la matière de la science historique. La caractéristique du monde actuel tient aux fêtes que les croyances stabilisées instituées dans les églises traditionnelles des différentes religions se font nettement submerger par des croyances parallèles concurrentes qui trouvent un écho de masse. On ne détaillera pas ici ce phénomène mais on s’interroge sur la manière d’y faire face.

Beaucoup d’entre nous ont été confronté à l’impuissance de nos arguments rationnels, pourtant évident éprouvé, face aux croyances de certains points on a même parfois le sentiment que lorsqu’on pousse la discussion rationnelle avec ses interlocuteurs, il semble s’endurcir de plus en plus dans leurs croyances fallacieuses, fût-elle farfelue. Par exemple le relativisme croissant vis-à-vis des résultats de la science pourtant non discutable objectivement a de quoi impressionner. Comment donc lutter contre les croyances non rationnelles, y compris religieuses ?

À l’adolescence, autour de mes 15 ans, il m’apparaissait complètement loufoque de croire qu’une femme vierge avait pu donner naissance à un enfant, que cet enfant était le fils de Dieu et qu’une fois adulte ils pouvaient marcher sur l’eau et ressusciter les morts… voyez à quoi je fais allusion. Je me suis alors engagé dans un prosélytisme athéiste et militant, cherchant à convaincre les jeunes autour de moi qui étais croyant. L’échec fut total ! Donc les difficultés actuelles à faire entendre raison un croyant ne sont pas nouvelles. Mettant à l’époque ouvert de ma difficulté un professeur d’histoire de ma classe de première (un ancien curé devenu athée !), Celui-ci m’expliqua que les croyances surnaturelles étaient produites par la situation d’une société sans espoir et de misère ; et qu’il était donc 20 d’être un athée militant. Il valait mieux s’appeler à changer le monde dans un sens émancipateur plutôt que de s’évertuer d’abord à changer les esprits. Il me donna alors un texte qui fut pour moi ma première découverte d’un auteur que je ne connaissais pas, dont j’entendais parler souvent, en mal la plupart du temps, et que je n’avais pas eu. Il s’agit de Karl Marx notamment le texte qui suit écrit en 1843. À l’époque le jeune Marx a 26 ans, finit ses études de droit et de philosophie en Allemagne, participe à des cercles de jeunes révolutionnaires souvent qualifiés de « hégélien de gauche » où on discute vivement de la pensée d’un philosophe contemporain l Ludvig f qui prône un humanisme fondé sur la critique de la religion. Marx conteste que l’émancipation ne puisse passer que par la critique de l’aliénation religieuse et se convainc que l’on ne pourra se libérer de l’aliénation religieuse que si on met fin à l’aliénation économique et sociale. Bref il passe de la critique de la religion à la critique du monde qui produit la religion. Ce texte de 1843 est l’un des plus beaux textes à ce sujet je vous invite à le déguster dans le détail ; vous comprendrez notamment qu’on a fait dans l’histoire un contresens sur son expression « opium du peuple ». En espérant que le retour à cette source philosophique nous aidera à poursuivre l’action émancipatrice pour transformer cette « vallée de larmes ».

Marx, extrait de : Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, 1843

« Pour l’Allemagne, la critique de la religion est finie en substance. Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique.

L’existence profane de l’erreur est compromise, dès que sa céleste « oratio pro aris et focis » (« discours pour les autels et les foyers », c’est-à-dire pour Dieu et la patrie.) a été réfutée. L’homme qui, dans la réalité fantastique du ciel où il cherchait un surhomme, n’a trouvé que son propre reflet, ne sera plus tenté de ne trouver que sa propre apparence, le non-homme, là où il cherche et est forcé de chercher sa réalité véritable.

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, par plus est très judicieux ce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.

La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même.

L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »

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