Il n’y a pas de crise de l’immigration, il y a une crise de l’accueil !

Contribution sur le projet de loi « asile-immigration » en débat au Parlement.

Il n’y a pas la moindre crise de l’immigration, ni en France, ni en Europe : la crise de l’asile est une crise de l’accueil, la crise de l’immigration est une crise d’hystérie. Le projet de loi sur l’asile et l’immigration du gouvernement, tout comme celui de 2015, celui de 2011, celui de 2007 ou encore celui de 2003 ne s’attaque ni aux causes, ni aux conséquences de l’intensification des flux migratoires que l’on peut observer à l’échelle du globe.

En France, 310 000 étrangers en moyenne entrent sur le territoire chaque année depuis le début du 21e siècle. Parmi eux, 110 000 européens, 60 000 étudiants et donc 150 000 personnes de nationalité étrangère qui ne sont ni européennes ni étudiantes. En parallèle, à l’heure actuelle, plus de 220 000 personnes sont protégées par un statut international octroyé par la France (réfugié, protection subsidiaire, apatride).

La France compte plus de 67 millions d’habitants. Nous pourrions donc tripler, quadrupler, quintupler ces nombres sans que cela ne pose le moindre problème. Certes, cela nous demanderait d’y mettre les moyens, afin de permettre un accueil digne, mais quoi de plus normal ? Après tout, c’est bien à cause de nous si ces personnes sont contraintes de partir de chez elles. Et puis, notre pays n’est-il pas plus riche qu’il ne l’a jamais été ?

N’est-ce pas de notre faute si les accords de libre-échange avec les pays développés ruinent les économies de ces pays ? N’est-ce pas de notre faute si des conflits armés ont lieu et perdurent dans les zones riches en matières premières ? N’est-ce pas de notre faute, de celle de notre mode de vie, si ces pays sont submergés ou asséchés par les effets du réchauffement climatique ?

Et quand bien même nous n’aurions aucune responsabilité dans les causes qui poussent toutes ces personnes à quitter leur pays, n’est-ce pas de la responsabilité des pays les plus riches du monde de leur offrir des perspectives d’avenir plutôt que de les laisser crever comme des chiens ?

Au niveau européen, le constat est le même. Environ 5 millions de personnes ont immigré dans l’un des pays de l’Union européenne. Parmi eux, la moitié sont européens, l’autre moitié ne le sont pas. Il y a 500 millions d’habitants en Europe. Nous pourrions également tripler, quadrupler, quintupler le nombre d’immigrants que cela ne poserait pas le moindre problème. D’ailleurs, nous ferions mieux de nous préoccuper des raisons pour lesquelles les européens quittent l’Europe plutôt que des quelques millions de non-européens qui la rejoignent pour seulement quelques temps.

Maintenant que cela est dit, une autre vérité doit être lue, entendue et partagée. Absolument rien ne justifie que la justice et l’administration traitent différemment les citoyens des étrangers. Il ne s’agit pas ici de dire que les étrangers doivent acquérir les mêmes droits que les citoyens de tel ou tel pays, il s’agit de dire que l’administration et la justice n’ont absolument aucune raison objective de traiter les étrangers comme des administrés ou des justiciables de seconde zone.

Les droits de l’hommes et du citoyen ne sont pas réservés aux français, sinon ils s’appelleraient juste les droits des citoyens. Le peuple français s’est distingué dans l’histoire en ne faisant pas la révolution pour lui-même mais pour l’humanité universelle, en édictant des droits imprescriptibles et inaliénables non pas pour lui-même mais pour l’humanité universelle. Parmi ces droits figurent la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. En 2018, aucun des quatre droits sur lesquels la nation française s’est constituée ne sont garantis aux étrangers sur notre territoire.

Premièrement, ces personnes sont mises en rétention alors même qu’elles n’ont, pour l’incommensurable majorité d’entre elles, pas commis le moindre délit. C’est une honte. Deuxièmement, le peu de choses matérielles dont disposent ces personnes sont soit confisquées soit détruites, parfois même par les forces de police qui obéissent à des ordres odieux. C’est une honte. Troisièmement, ces personnes vivent sous le régime de la peur et risquent un drame à chaque coin de rue, à chaque instant de leur existence. C’est une honte. Quatrièmement, les deux-tiers des personnes qui viennent chez nous pour avoir été en danger de mort dans leur pays ne se voient accorder aucune protection internationale, alors même que c’est la République française qui en a inventé le concept. C’est une honte.

Non seulement notre attitude est immorale, injuste et illégitime, mais elle constitue une négation de notre propre identité, celle d’une patrie intrinsèquement républicaine. Le projet de loi asile et immigration est une ignominie, son application concrète est une horreur. Elle reprend point par point les analyses que l’extrême droite tente de faire infuser dans le débat public depuis des décennies.

D’abord, nommer un projet de loi « asile et immigration » est une hérésie car le droit d’asile n’a rien à voir avec l’immigration. Le droit d’asile est une protection internationale accordée à un individu qui risque sa vie dans son pays d’origine. Il ne peut être question de restreindre le droit d’asile puisqu’il s’agit à la fois d’un principe constitutionnel et d’un engagement international de la France. Or, tout est fait dans ce projet de loi pour entraver le droit d’asile en rendant la procédure toujours moins accessible et toujours plus expéditive (réduction des délais de recours, généralisation de la télé-audience, retrait de toutes les garanties procédurales comme la collégialité ou la présence d’un rapporteur public, opposabilité de la langue déclarée au début de la procédure, impossibilité de déposer une demande de titre de séjour à l’issue du rejet d’une demande d’asile etc.).

Ensuite, non seulement le gouvernement cherche à accentuer le traitement des étrangers comme des administrés et des justiciables de seconde zone par l’administration et la justice, mais il prend des mesures démagogiques uniquement destinées à montrer qu’il s’attaque à la prétendue « crise migratoire ». En effet, il est prévu de faire passer la durée maximale de rétention administrative (c’est-à-dire d’un emprisonnement décidé non pas par la justice mais par l’administration) de 45 à 90 jours. L’idée est ici de les maintenir en rétention pour pouvoir les expulser plus facilement. Or, d’une part, l’immense majorité des rétentions cessent au bout de 12 jours, cette mesure n’est donc qu’un coup de com et d’autre part, plus de 90% des personnes qui font l’objet d’une mesure d’expulsion ne seront jamais expulsées car c’est tout simplement impossible. D’ailleurs, il coûte bien moins cher au pays d’accueillir dignement ces personnes que d’essayer de les éloigner. Est-il nécessaire de préciser que reconduire à la frontière une personne qui a traversé la moitié du globe pour venir ici ne va pas l’empêcher d’essayer à nouveau de venir ?

Enfin, ce texte organise la ségrégation des « non-blancs », et ces mots sont pesés. La « procédure pour vérification du titre de séjour » est ici renforcée par le gouvernement. Techniquement, cette mesure consistera, une fois le texte voté, à priver de liberté un être humain pendant 24 heures pour vérifier ses papiers, elle pourra être ordonnée par n’importe quel personnel de sécurité publique (police municipale, certains militaires et même… des gardes champêtres), elle pourra donner lieu à une fouille des bagages, à la prise d’une photo, à la prise des empreintes, contre lesquelles la personne ne pourra pas s’opposer au risque d’écoper d’un an d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. En pratique, cette procédure sert à arrêter les « Noirs et les Arabes » que l’on soupçonne de ne pas avoir de papiers, ce qui a déjà donné lieu à l’arrestation… de citoyens français, qui n’avaient sans doute pas « la bonne tête ». Tout cela est glaçant, et pourtant c’est la réalité que les macronistes vont voter cette semaine.

Il ne s’agit ici que de quelques exemples. Dans son ensemble, ce texte est une insulte à ce que la France a toujours été. Nous parlons bien d’un texte dénoncé par toutes les associations de terrain qui aident au quotidien les demandeurs d’asile et les étrangers, par des collectifs de juristes, d’universitaires, d’intellectuels engagés, même ceux s’étant engagés pour Emmanuel Macron, par toutes les institutions de la République qui ont été consultées pour rendre un avis (Conseil d’Etat, Défenseur des droits, CNIL, Contrôleur général des lieux de privation de liberté etc.), par tous les acteurs de l’asile (OFPRA, CNDA) et par tous les groupes parlementaires de gauche.

Les parlementaires LREM se sont couverts de honte en apportant leur soutien à ce texte odieux en commission des lois, l’histoire s’en souviendra. L’histoire se souviendra quand la rapporteure Mme. Fajgeles a justifié le fait de mettre des enfants en centre de rétention alors que des députés de six des septs groupes politiques de l’Assemblée nationale en demandaient le retrait. L’histoire se souviendra surtout de Gérard Collomb, sinistre ministre de l’intérieur, qui aura réussi l’exploit de commencer une phrase par la remise en cause des fondements du droit d’asile, de la poursuivre par une description alarmiste de la prétendue « crise de l’immigration », d’y ajouter un commentaire sur la situation des quartiers populaires de notre pays et de déboucher sur une mise en garde à propos du terrorisme. Associer demandeurs d’asile, crise de l’immigration, quartiers populaires et terrorisme était le monopole de l’extrême droite. Il fut récupéré par la droite parlementaire sous Sarkozy, aujourd’hui relayé par Laurent Wauquiez et désormais c’est un ancien ministre socialiste sous Macron qui légitime cet amalgame honteux. Cette dégénérescence morale de la droite, du centre et d’une partie de la gauche doit être dénoncée.

Ce projet de loi ne résoudra rien. Il s’inscrit dans une logique austéritaire de rabotage de toutes les garanties procédurales au détriment de l’Etat de droit et d’une bonne administration de la justice. Prétendre qu’il s’agit là d’un texte équilibré est un mensonge. Jamais il n’y a eu loi plus répressive en matière d’immigration dans l’histoire de la Ve République. Pour éviter que de tels textes ne se succèdent, il est nécessaire de faire l’effort d’une étude sérieuse de la question migratoire et d’en partager le constat qui en résulte : il n’y a pas de crise de l’immigration, la crise de l’asile est une crise de l’accueil, la crise de l’immigration est une crise d’hystérie.

Le 16 avril 2018

René Revol

Photo : Emmaüs France ; http://emmaus-france.org/loi-asile-immigration-un-projet-desequilibre-qui-inquiete-les-associations/

 

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