Coup d’œil historique : le centenaire des thèses d’avril

Un coup d’œil dans l’histoire peut nous aider dans le moment intense que nous vivons en ce mois d’avril. C’est le centenaire de la Révolution russe de 1917 et naturellement l’oligarchie intellectuelle et médiatique est silencieuse sur ce sujet. Je n’aborderai pas ici ni les différents aspects et moments de cette révolution, ni la nature et l’évolution du régime qui va s’ensuivre. Je m’attarde sur un moment particulier de cette expérience historique extraordinaire.

Le 7 avril 1917, exactement un mois après la révolution qui a balayé le tsar et installé un régime parlementaire chaotique, Vladimir Oulianov Lénine soumet à ses amis du parti social-démocrate bolchevik un document d’orientation qu’on a coutume d’appeler les thèses d’avril. Après la révolution et la destitution du tsar Nicolas II, Ie gouvernement provisoire se met en place sous la direction de Kerensky qui rassemble la fois des membres de la bourgeoisie libérale, des socialistes modérés (dont fait partie Kerensky) et des membres du parti social-démocrate menchevik. Les dirigeants du parti bolchevik présents en Russie (Lénine est en exil en Suisse) adoptent une ligne de soutien critique au gouvernement provisoire. Lénine, opposé à cette orientation, va développer dès son retour en Russie le 3 avril sa position dans ses fameuses thèses d’avril. Il y défend l’idée que le gouvernement provisoire et sa coalition font des promesses au peuple qu’ils ne pourront pas tenir car il refuse de rompre avec les grands propriétaires fonciers et les industriels capitalistes et d’arrêter la guerre avec l’Allemagne. Il préconise en conséquence que le parti bolchevik ne soutienne pas le gouvernement, car il serait une illusion de croire qu’on peut l’influencer. Il appelle au contraire à dénoncer sans relâche ses atermoiements et son hésitation et ses refus d’avancer vers un programme socialiste. Les thèses d’avril préconisent d’affirmer cette indépendance politique pour s’adresser au grand nombre, notamment dans les conseils ouvriers, de paysans et de soldats qui fleurissent partout dans le pays, créant une situation de double pouvoir : gouvernement d’une part, conseils populaires dénommés en russe «soviets» d’autre part. Les ouvriers réclament la journée de huit heures et des salaires décents, les paysans qui ont faim de terre réclament le partage des grandes propriétés, enfin les soldats réclament avec le peuple la fin de la guerre et la paix par une décision unilatérale de la Russie. Le pain, la terre, la paix, ce sont les trois exigences qui dominent cette révolution. Face à ses trois exigences Kerensky répond qu’il faut attendre la fin de la guerre et une éventuelle victoire militaire, que le peuple doit continuer à faire des sacrifices. Lénine a parfaitement conscience que si à cette étape les bolcheviks sont minoritaires dans les soviets, la dynamique de la situation va leur devenir inévitablement favorable au fur et à mesure que le peuple russe prendra conscience que le gouvernement provisoire reporte la satisfaction de leurs exigences toujours à plus tard.

Dans les thèses d’avril il appelle les militants bolcheviks à un travail méthodique de conviction au sein des conseils ouvriers, de paysans et de soldats pour y devenir majoritaire. Mais pour obtenir la confiance du peuple il faut d’entrée de jeu marquer son indépendance absolue avec le gouvernement et les partis qui le composent. Léon Trotsky, partageant cette analyse, le rejoint avec ses amis dans le parti bolchevik qui adopte à la majorité ces thèses d’avril.

Certes, comparaison n’est pas raison, et il serait stupide d’appliquer mécaniquement cette expérience à la situation de nos jours. À l’époque la première mondialisation avait débouché sur une guerre mondiale d’une cruauté inouïe pour les peuples et la révolution russe ouvrait une période de soubresauts révolutionnaires où le socialisme cherchait à construire une issue à cette barbarie. De nos jours la mondialisation actuelle débouche sur des catastrophes sociales, environnementales et géopolitiques toutes aussi dangereuses, mais cela se fait sous des formes et avec des contenus tout à fait nouveaux.

Pour répondre à ces défis et mettre fin à cette course à l’abîme, il nous incombe de mettre à l’ordre du jour de la révolution citoyenne la question d’un nouvel ordre du monde à la fois démocratique, sociale, écologique et pacifique. Dans une situation, certes très différente de la Russie de 1917, cette réflexion sur les thèses d’avril peut aujourd’hui être source d’inspiration. La révolution citoyenne ne pourra ainsi trouver son chemin que si nous manifestons une totale indépendance politique envers ceux qui accompagnent la mondialisation libérale de leurs belles promesses sans lendemain. Une conviction stratégique qui nous a guidés en février 2016 pour refuser les combinaisons sans principes et les tractations sans fin du processus des primaires. Nous avons pu dès lors manifester publiquement cette position d’indépendance avec la déclaration de candidature de Jean-Luc Mélenchon et la mise en place du mouvement citoyen de la France insoumise. En ce début avril on constate que nous avions raison. Après ce coup d’œil historique nous retournons à nos tâches pour préparer au mieux l’échéance électorale qui vient.

René Revol

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