Note du 22 décembre 2014
Je ressens vivement chaque jour une contradiction majeure dans mon action publique. Je profite de ce moment de pause des fêtes de fin d’année pour partager avec vous quelques réflexions sur ce sujet.
Contrairement au discours dominant des chroniqueurs qui parlent sous le mode de l’évidence se dispensant ainsi d’apporter les preuves de leurs allégations – d’une tendance lourde de la droitisation de la société marquée par une demande d’un pouvoir autoritaire et le reflux des mobilisations sociales et citoyennes reflétant une passivité individualiste de nos concitoyens, je constate sur le terrain une toute autre situation. Les mobilisations sociales par entreprises sont plus nombreuses en 2014 que les années précédentes ; les mobilisations citoyennes de masse ne manquent pas à l’image dans notre région de la mobilisation contre le barrage de Sivens. A l’échelon municipal, je constate comme maire une forte disponibilité des citoyens dont la mobilisation a d’ailleurs permis à notre liste municipale de gagner nettement contre l’hostilité des partis de droite et de gauche (à de rares exceptions, dont le PG bien entendu). Sur des sujets précis qui font sens pour les habitants ceux-ci répondent présents : ce fut le cas lorsqu’on a organisé en 2013 un référendum sur l’eau ou quand il s’agit de se mobiliser contre un projet routier qui va détruire notre paysage et menacer la santé comme les ressources en eau. Cette disponibilité citoyenne j’ai pu la voir à l’œuvre quand il a fallu faire face aux inondations catastrophiques qui ont frappé mon village cet automne : l’engagement solidaire fut massif et exemplaire. Mais les choses vont plus loin puisque les habitants se mobilisent avec nous pour que les ouvrages de protection soient faits envers et contre les coupes budgétaires de l’austérité et interviennent contre les projets de promoteurs qui veulent bétonner les zones inondées (Note 1).
Bref la disponibilité pour l’implication citoyenne est là. Mais force est de constater qu’elle ne reste puissante que sur des enjeux locaux ; elle est beaucoup plus laborieuse sur des enjeux politiques et sociaux nationaux. On l’a par exemple vérifié dans la mobilisation politico-sociale contre l’austérité budgétaire ; l’appel des 3 A était unitaire et clair ; les citoyens contactés l’approuvaient mais ils se sont peu déplacés. Est-ce que cela signifie que le peuple aurait un défaut de conscience politique et sociale et qu’il ne saisirait plus les enjeux globaux ? Certes le bourrage de crâne médiatique lié au déclin de la socialisation politique des grandes organisations n’est pas sans effet. On n’en constate pas moins toujours le même intérêt aux grandes questions politiques sociales été environnementales ; cet intérêt se mesure particulièrement sur le net et les réseaux sociaux comme dans les conversations de « sociabilité rapprochée » comme le disent les sociologues qui étudient les relations entre collègues, voisins, amis ou parents. La France reste un pays « politique » où les grandes questions centrales sont suivies par les citoyens.
Ce qui a changé c’est que le peuple a le sentiment de ne plus avoir aucune prise sur le global ; à la différence du local où ils ont l’intuition de pouvoir modifier le cours des choses.
Ce renoncement sur le global se nourrit d’un fait largement partagé par le grand nombre, bien au-delà des électeurs de gauche : le sentiment d’avoir été trahi par François Hollande ; il s’est fait élire contre la finance et il s’est immédiatement soumis à elle. Cela ne fait d’ailleurs guère discussion chez les analystes sérieux de l’opinion publique qui soulignent qu’on est bien au-delà des « déceptions » qu’avaient générées Mitterrand ou Jospin. La brisure est profonde et les socialistes risquent bien d’en boire la coupe électorale jusqu’à la lie ; quant au reste de la gauche elle serait emportée avec eux si elle n’arrivait pas à incarner une nouvelle voie.
Je suis intimement convaincu qu’implication citoyenne et alternative politique sont intimement liées. Si on veut que les citoyens ne restent mobilisés que sur les seules questions locales et que le mouvement social et civique prenne confiance en lui, il est indispensable que se construise une alternative politique crédible à moyen terme. On le voit bien sur la mobilisation pour la 6ème République. D’un côté la pétition en ligne a connu un succès considérable avec bientôt 100 000 signatures, ce qui prouve bien que nos concitoyens se passionnent toujours autant pour les enjeux centraux (et quoi de plus central que la question du régime politique) ; mais force est de voir que les ateliers constituants et rassemblements sur ce thème restent modestes au vu de l’ampleur de la pétition. Car l’implication citoyenne pour la 6R a besoin elle aussi d’une perspective politique crédible.
Or cette alternative politique à gauche en France tarde à se matérialiser, contrairement à l’Espagne et la Grèce. La situation politique entre la France et ces deux pays diffère profondément. Dans ceux-ci où la droite est au pouvoir et assume la mise en œuvre d’une austérité drastique, les gens veulent en finir avec cette politique ; ils ne se tournent ni du côté du Pasok ni de celui du PSOE car tous se souviennent que ce sont les socialistes qui ont initié ces politiques d’austérité. La perspective que Podemos et Syriza gouvernent est devenue crédible à court terme et cela nourrit naturellement la mobilisation citoyenne. En France il s’agit de renverser la « gauche » libérale par la gauche radicale, c’est naturellement bien plus difficile. Avec en embuscade un FN qui mobilise 25% des électeurs qui se déplacent aux urnes ; ce qui fait du FN une alternative politique à droite crédible.
A cela s’ajoute la division et les hésitations de l’autre gauche française. EELV était au gouvernement il y a un an et le PCF a fortement entamé sa crédibilité dans son autonomie vis-à-vis du PS lors des municipales. Certes depuis, une évolution de ces deux partis semble en cours mais on est encore loin du but. Un rassemblement du Front de Gauche et d’EELV voire de socialistes en rupture sans oublier Nouvelle Donne et d’autres opposants de gauche serait de nature à ouvrir la voie à une alternative à gauche. Toute nouvelle pierre posée dans cette entreprise sera une bonne nouvelle et doit être soutenue mais une condition est aussi indispensable : que cette coalition de gauche indépendante du social libéralisme ouvre largement ses portes à l’implication populaire et citoyenne pour que le peuple impose sa volonté. La bataille n’est pas jouée et le chemin est escarpé, mais il n’y a pas d’autres voies. Une telle stratégie qui unifie implication citoyenne et alternative politique implique plein de choses : la façon d’aborder les échéances électorales à venir, les modalités et les objets des luttes sociales et civiques, la nature de l’engagement des élus….
On aura l’occasion d’en reparler…l’année prochaine. Bonne fin d’année à tous
René REVOL
Note 1 : A ce sujet, alors que je suis engagé dans un rude combat contre un promoteur qui veut bétonner les bords de la rivière qui a dévasté mon village dans la nuit des 6/7 octobre. Pour arriver à ses fins il n’hésite pas à me diffamer (comme la justice l’a reconnu en le condamnant), il est intéressant de voir certains soutenir indirectement ce promoteur contre moi à travers des « blogs poubelles » et autres commentaires malveillants et mensongers de ceux qui aux dernières élections municipales dans ma commune ont été balayés par le suffrage universel. Tout cela a pour but de m’impressionner pour me faire céder. Ils me connaissent mal.
Que de pertinence ! les médias devraient diffuser ce genre de réflexion au lieu d’encenser des zeymour et autres pourfendeurs de la république. Mon admiration pour votre engagement n’a d’égal que ma volonté d’y participer activement. Fier de savoir que certains de nos élus n’ont pas oublié le sens de élus du peuple. Au plaisir de vous rencontrer à nouveau.