Note du 12 septembre
Dans ma prochaine note je reviendrai sur la conférence de presse rentrée que je fais ce 13 septembre, mais je ne résiste pas au plaisir de vous retranscrire ici le dialogue soutenu que j’ai eu avec deux de mes concitoyens au café de mon village. Lorsque j’ai raconté cet échange à mes amis du parti de gauche réunis en assemblée générale samedi dernier à Saussan, ils m’ont incité à le rendre public car il leur a apparu très instructif. Je m’exécute donc. J’appelle mes deux interlocuteurs X et Y et moi-même RR.
X – Bon avec toutes les dettes de l’Etat, je sens qu’on va devoir tous se serrer la ceinture
Y – et certains plus que d’autres apparemment …
RR – De toute manière leur histoire de dette publique c’est un prétexte pour faire passer leurs plans.
X – Mais enfin vous devez admettre que l’Etat comme une simple famille s’il a des dettes il doit bien les rembourser. Avec 80 % de dettes il nous reste que 20% pour vivre !
RR – Si vous voulez bien m’accorder deux minutes je peux vous expliquer en quoi cela est un mensonge
Y et X (avec un sourire) – Allez y, monsieur le professeur, on vous écoute.
RR – Supposons que l’Etat soit comme un particulier (ce qui se discute, mais on verra cela plus tard). Supposons que vous achetiez votre maison 200 000€, vous avez une épargne de 50 000 € et vous allez voir la banque pour emprunter 150 000€. Que va calculer le banquier, votre capacité à rembourser.Si vous faîtes un prêt de 15 ou 20 ans il regarde si chaque mois le remboursement de vos mensualités ne dépasse pas 30% de votre revenu mensuel ; on peut faire le calcul annuellement. Le banquier ne met pas en rapport votre dette TOTALE avec votre revenu ANNUEL. Sinon on atteindrait des pourcentages astronomiques. Par exemple si vous gagnez à peu prés le revenu annuel moyen des français, soit 2000 € par mois ou 24 000€ annuel, on peut vous prêter 150 000€ et votre capacité de remboursement sur 20 ans sera bien inférieure à 30% du revenu.
Mais si on rapportait votre dette totale (150 000 et ce sans compter les intérêts) à ce revenu annuel (24 000€) on obtiendrait 625% !Or ils font donc ce même calcul pour l’Etat : le total de ses dettes sur plusieurs années et de l’autre le revenu annuel ou produit annuel du pays (le fameux PIB) et ils obtiennent…je serai tenté de dire que 80% ! S’ils avaient rapporté le service de la dette c’est-à-dire le remboursement annuel de la dette, au revenu annuel du pays on aurait autour de 3%. Et j’en connais plus d’un à commencer par vous et moi qui aimerions n’avoir pas besoin de consacrer plus de 3 à 5% de son revenu pour rembourser ses dettes.
X – J’ai tout compris ; mais pourquoi alors ils sortent ce truc de 80% ?
Y – Peut être pour nous faire peur ?
RR – Comme je vous le disais au début. En martelant ces 80% les gens croient qu’il ne reste que 20% pour vivre ! C’est stupide, d’ailleurs dans le cas du Japon qui est à plus de 200%, personne n’en parle. Ce calcul n’a aucune valeur car on rapporte un stock pluriannuel à un flux annuel.
X – Attention là vos mots deviennent compliqués : stocks, flux…
RR – Une image pour comprendre le stock c’est le volume global de l’eau accumulée dans une piscine et le flux entrant le débit du robinet et le flux sortant l’évaporation et les fuites….
Y – Ben moi ma « piscine » il y a longtemps qu’elle est à sec (rires)
X – Bon on a compris ce truc de 80% c’est une arnaque. Mais pourquoi vous disiez qu’on pouvait aussi dire que l’Etat ce n’est pas pareil qu’une famille ?
Y – Ce serait comme une entreprise ?
RR – Bon là aussi il va falloir deux minutes…
Y – Allez y et je paye une tournée….
RR – Commençons par l’entreprise. Un ménage et une entreprise ce n’est pas pareil. Un économiste intelligent (il y en a oui je vous l’assure) a dit : « un ouvrier dépense ce qu’il gagne, un capitaliste gagne ce qu’il dépense » (M.Kalecki). Cette formule paradoxale signifie que l’ouvrier ne peut que dépenser le salaire qu’il reçoit. Alors que l’entrepreneur doit investir dans des machines et dans toute une production pour pouvoir toucher ensuite un profit. C’est en dépensant aujourd’hui en investissement qu’il générera demain un profit. C’est pour cela d’ailleurs que les entreprises s’endettent toujours pour financer leurs investissements en anticipant que le profit sera plus important que la dette. Ça marche dans les périodes de croissance et dans les périodes de crise c’est la faillite. D’ailleurs en ce moment les entreprises productives subissent la dictature des marchés financiers dominés par des rentiers prédateurs qui ne veulent que la rentabilité à très court terme mais çà on aura l’occasion d’en reparler. Donc en tout cas à l’entreprise capitaliste ne raisonne pas comme un ménage.
X – Et l’Etat c’est pas pareil ?
RR : Tout à fait. D’abord ses ressources ne viennent pas de la vente de marchandises mais du pouvoir qu’il a de lever les impôts ; ensuite sa mission est double : 1 de faire fonctionner des services publics pour tous (dépenses de fonctionnement) et de créer des infrastructures durables (dépenses d’investissement) . Bien sûr cela est plus ou moins vrai selon qui le dirige. Mais ces missions l’obligent ou devrait l’obliger à une vision qui privilégie l’intérêt général et le long terme.
Y – Mais alors pourquoi il s’endette ?
RR – J’y viens. Si on peut supposer qu’il vaut mieux que les dépenses courantes de fonctionnement soient couvertes par les recettes fiscales courantes. Même si il y a là aussi des choix à faire pour savoir si on utilise ces dépenses et ces recettes pour diminuer les inégalités et redistribuer la richesse…
Quant aux investissements il serait stupide faire payer les investissements en écoles, hôpitaux, etc.…qui vont fonctionner en l’état sans réparations pendant 20 ou 30 ans par les seuls impôts de l’année de l’investissement. Ainsi dans notre village l’école créée en 1990 n’a pas été payée uniquement par les contribuables de 1990 mais a pu être étalée sur les contribuables pendant une dizaine d’années grâce à l’emprunt. La dette en soi pour l’Etat n’est pas à bannir. Elle doit être maîtrisée mais l’endettement actuel de l’Etat français n’a rien de catastrophique. Le problème est aussi de qui détient vos titres de dette.
X- C’est-à-dire ?
RR. Regardez les japonais ; avec les fameux plus de 200% du PIB de dette publique, il n’y a que peu de risque car ce sont les ménages japonais qui achètent les obligations de l’Etat à un taux fixe et relativement faible ; un placement non spéculatif et volontaire de leur épargne. C’était d’ailleurs quasiment le cas de l’Italie autrefois. Mais maintenant pour tous les grands pays ce sont les financiers qui détiennent ces titres de dette et ils spéculent dessus sans vergogne avec la complicité des agences de notation, institutions privées qu’ils contrôlent. Et dés qu’ils voient que cela risque de leur coûter moins de profits, ils augmentent les taux d’intérêt quitte à étrangler le pays en question, comme on l’a vu avec la Grèce.
Y – Ce que fait Sarko avec son plan est ce que çà peut régler un peu le problème ?
RR – Le but du plan d’austérité du gouvernement Fillon a pour but principal (ils l’ont dit eux-mêmes) de rassurer les marchés pour que les taux ne montent pas, pour que la note de la France reste bonne etc.…Or comme tous les gouvernements font des plans d’austérité cela n’aura comme pas d’autre effet qu’un ralentissement de l’activité, entrainant la diminution des ressources de l’Etat, et en conséquence l’accroissement de son endettement. A court terme ils croient se crédibiliser par une austérité mais à moyen terme on augmente le problème.
Or les financiers ne raisonnent qu’à court terme en cherchant le profit le plus vite possible. Le marché financier est incapable de guider une économie sur le long terme.
X – Mais alors en deux mots dites nous ce qui devrait être fait sur cette satanée dette ?
RR – En deux mots çà va être dur et comme on est au troisième pastis il va falloir faire court. La solution pour moi c’est d’abord de définanciariser l’économie en faisant que les entreprises et surtout l’Etat soient financés par un pôle public. Par exemple la dette des Etats européens pourrait être comblée par un prêt de la banque Centrale au prix où celle-ci prête aux banques privées, soit entre 1 et 2%. Pourquoi les Etats n’auraient pas le même accès à ce financement que les banques au lieu de laisser celles-ci garrotter les Etats, en jouant sur les marchés financiers avec l’argent qu’on leur a donné ! Ensuite il faut mettre le long terme aux commandes avec une véritable planification de nos investissements publics ; c’est d’ailleurs la seule manière de répondre aux défis écologiques. Enfin le budget de l’Etat irait deux fois mieux si on relevait les impôts du capital et des très riches. Le simple fait de revenir à la taxation de 1980 ferait que le budget actuel de l’Etat deviendrait excédentaire !
X – Reste un problème : pourquoi tout ce que vous nous dites qui est simple et clair il n’y a personne pour le dire à la télévision ?
RR – Je crois que vous connaissez la réponse….mais souvenez vous le référendum sur la Constitution Européenne, la télé n’était que pour le Oui et par en bas on a pu contourner leur propagande. Il faut faire la même chose maintenant.
Y – Il faudra aussi nous dire un mot sur leur « règle d’or »
RR – D’accord, alors rdv la semaine prochaine pour en parler, mais indirectement on a déjà dit l’essentiel.
j’espère que tout le monde a bien compris ce qui attend ceux qui ont une âme d’épiciers …
C’est clair, c’est simple, c’est net ! On peut bien sûr rendre ce constat brumeux, compliqué et douteux, mais pour ce détournement il faut y mettre de la mauvaise foi ou du cynisme !
Les cyniques appellent utopie l’idéalisme des autres et réalisme leur cynisme.
Bonjour M Révol,
Je me suis permis de reproduire et diffuser (en indiquant sa provenance bien entendu) sur mon espace facebook ce texte « clair, simple et net » comme le dit le commentateur ci-dessous.
Amitiés militantes,
Arnaud Le Gall, PG 35
Bonjour,
Cet échange plait beaucoup, suite à son partage par facebook interposé…, des amis m’ont dit envisager de l’afficher sur le panneau d’affichage dans leur entreprise ou de leur administration, afin de donner des billes pour contrer la doxa qui accompagnera les nouvelles réductions de postes à venir dans chaque secteur.
amitiés militantes,
Arnaud Le Gall
Oui mais… un particulier doit s’endetter sur une durée fixe, 15, 20 ou 30 ans. L’Etat, lui, peut refinancer ses dettes qui viennent à échéance, en réempruntant, et ce de manière indéfinie ! Alors si on suit le raisonnement du Professeur, le ratio dette/revenu n’est pas de 3%, mais de 0,00001%… en revanche, ce qui paie le service de la dette, ce sont les recettes de l’Etat, et ça, ça se calcule sur une année, celle du budget ! Donc le ratio dette/PIB n’est pas si absurde que cela