Bon, nous y voilà dans cette année 2011. Et, maire oblige, je vais devoir assister à toutes ces interminables cérémonies de vœux. Un copain anglais me disait qu’il ne comprenait pas tout ce cérémonial en France qui dure un mois ; qu’on se souhaite la bonne année entre amis, voisins, famille et qu’on fasse de même avec ceux qui partagent une fraternité républicaine, rien que de très normal ; mais de voir ce spectacle des élites en tous genres se souhaiter les meilleurs vœux de bonheur et de santé alors que bien souvent ils se détestent souverainement, c’est au bout du compte assez affligeant. D’un naturel plutôt sociable et civil, je me plierai à ces conventions. Mais j’accorderai surtout mon temps aux habitants de ma commune avec qui j’ai une relation citoyenne et fraternelle particulière. Ne voulant pas mélanger les genres je vous laisse découvrir sur le site de la Ville de Grabels ma carte de vœux 2011. Je suis sûr qu’elle va vous inspirer plein de réflexions originales. Et si vous êtes dans le coin le lundi 17 janvier à 19h venez assister aux vœux municipaux à la salle polyvalente.
Quant à cette année 2011, foin des mièvreries habituelles, mieux vaut se dire les choses clairement : elle va être terrible !
D’abord il n’y aucune raison que la crise économique se ralentisse. Dans ce domaine, le discours dominant est consternant sur le thème éternel du « c’est un mauvais moment à passer » « on ne peut rien faire d’autre que des restrictions budgétaires » « il n’y a plus d’argent dans les caisses » « il y aura une reprise » et pourquoi pas « après la pluie, le beau temps revient toujours »… Propos d’autant plus consternants qu’ils s’accompagnent souvent de mots savants pour avancer les idées basiques des économistes libéraux : tout s’arrangera avec le temps, laissons faire le marché. Or dans les discussions avec la population on sent les gens plus ou moins confusément conscients de la gravité de la crise et de l’impasse de ce système. De plus en plus grandit la conscience que nous sommes face à une crise systémique dont on ne sortira qu’à travers une brisure profonde.
Nous sommes face à une crise du capitalisme financiarisé et mondialisé qui s’est imposé depuis le milieu des années 80 suite à la crise, dans les années 70, du capitalisme fordiste. Le capitalisme financiarisé et mondialisé n’est pas une génération spontanée mais le fruit des décisions des gouvernements de l’époque (chacun avec sa variante) : libéralisation des marchés des marchandises par généralisation du libre échange pour imposer un régime concurrentiel, libéralisation totale des marchés monétaires et financiers entrainant la disparition de toute réglementation publique, libéralisation du marché du travail par une flexibilisation généralisée dans la gestion de la main d’œuvre, privatisation de la quasi-totalité des entreprises publiques, ouverture à la concurrence de tous les services publics, démantèlement des régimes de retraites et de la santé publique, diminution des impôts et des dépenses publiques etc. Quelque soit le terme utilisé, libéralisation, dérégulation, déréglementation, il s’agit d’une offensive menée sans relâche depuis les années 80 et qui se poursuit à travers la crise actuelle.
La logique intellectuelle dominante est celle dite de l’offre compétitive. Nul besoin de soutenir la demande des ménages ou de l’Etat pour soutenir la croissance (cela est présenté comme une vieillerie keynésienne provoquant les haussements d’épaule de nos « savants » libéraux) ; ce qu’il faudrait désormais c’est rendre l’offre (c’est-à-dire les entreprises) compétitive par les prix, en abaissant les coûts de production (ceux du travail bien sûr !) afin de répercuter cette baisse sur les prix de vente et assurer ainsi une croissance saine et sans inflation d’une économie concurrentielle.
Ce conte de fées a été décliné sur tous les tons depuis trente ans. Outre que la logique de la concurrence libre et non faussée est celle du moins-disant social, fiscal, écologique, celle-là même de la grande régression, (pour reprendre l’excellente expression de Jacques Généreux) elle est grosse de crises et soubresauts.
Juste un oubli en effet : le salaire n’est pas qu’un coût, c’est aussi un revenu. Et quand on baisse la masse salariale on ne fait pas que baisser les coûts, on fait baisser aussi les revenus et on diminue par là-même la capacité d’achat de la société. Ce mécanisme inexorable s’est amplifié depuis la fin des années 80 et s’est manifesté par une première récession mondiale entre 1991 et 1993, puis à nouveau en 2001. Le mécanisme d’une vaste crise mondiale de surproduction s’est ainsi mis en place. L’échéance a été retardée d’une part par une extension de l’accumulation capitaliste dans les pays émergents du Sud (ce qui permettait en même temps de faire pression sur les salaires du Nord) et d’autre part par une extension phénoménale du crédit chargé de compenser cette diminution des capacités d’achat de la société. Les subprimes ont été le point ultime de cette orgie de crédits privés. La bulle du crédit privé a atteint une ampleur inégalée et a pénétré tout le système via la titrisation (la possibilité pour les prêteurs de négocier les crédits sur le marché financier). Pendant ce temps, les actionnaires réclamaient toujours plus de rendement (dividendes et hausse des actions) ; ils exigeaient une rentabilité de 15% par an alors que le produit réel n’augmentait que de 2 à 3 %. Prétention irréalisable, si ce n’est en instaurant une dictature du capital financier par une surexploitation de la main d’œuvre, le chômage de masse, le recul des droits sociaux, les avantages fiscaux, les faibles investissements et la chasse aux coûts. Une part croissante de la valeur créée allant à la rente financière avide de spéculation, la part rémunérant le travail a fortement baissé.
Un pouvoir d’achat qui stagne ou régresse d’un côté et de l’autre une montagne de crédits qui croissent : l’épreuve de vérité ne pouvait tarder. Les premiers défauts massifs de paiement apparaissent mi 2007 ; je me souviens alors d’une brillante déclaration du nouveau directeur du FMI début 2008 disant que le gros de la crise était derrière nous et que nous allions rentrer dans une période de croissance ! Ah ce DSK quel génie ! Bref la montagne de dette privée a explosé le 14 septembre 2008 quand Lehman Brothers a fait faillite menaçant d’entraîner avec elle la majorité du système bancaire mondial. Et qu’ont trouvé nos Diafoirius de l’économie ? Eh bien sauvons les banques en transmettant cette dette privée aux Etats ! 2009 a vu ainsi grandir une dette publique gigantesque se substituant à une partie de la dette privée. Endettement des Etats sauveurs des banques en recourant aux marchés financiers tenus toujours par ces mêmes banques et institutions financières qui entendent s’engraisser sur leurs dos. Le mécanisme est simple : on demande aux Etats de s’endetter pour sauver le système bancaire qui va jouer de la plus ou moins faible crédibilité des Etats pour leur prêter au prix fort. Cette crédibilité est établie par les agences de notation, des institutions privées dont les actionnaires sont justement les banques et les institutions financières (ce qui frise le conflit d’intérêt !) Ces agences désignent les mauvais élèves qui doivent payer le plus cher.
Vous avez suivi en 2010 l’orchestration de la crise grecque suivie de la crise irlandaise. Se prépare un scénario identique au Portugal en attendant l’Espagne, puis à qui le tour ? Avec toujours la même potion : faire payer cette dette publique par les peuples ! Baisse des salaires, remise en cause des régimes de retraites, baisse du nombre de fonctionnaires, baisse des dépenses publiques, destruction programmée de la sécurité Sociale, augmentation des tarifs de toutes sortes… Comme dans la comédie de Molière, on soigne le malade par des saignées. Avec de tels remèdes, comme le disent de plus en plus d’économistes, c’est le malade qui risque d’y passer. Une forte récession ne peut que s’ensuivre avec son cortège de misère et ses conséquences désastreuses pour la civilisation. L’analyse pourrait être largement complétée : cette crise systémique mondiale se couple avec une crise écologique majeure, dont les dimensions énergétiques et alimentaires ne sont pas moins catastrophiques. En tout état de cause, 2011 verra se déployer dès les premiers mois les conséquences de cette machine infernale. Pourtant depuis des années des voix expertes se sont élevées pour alerter sur la catastrophe qui vient. Parmi les économistes, Jacques Généreux, Dominique Plihon et tant d’autres l’ont écrit, expliqué et décortiqué depuis des années. A ma modeste place, je vous renvoie à mon article de 2004 dans le N°1 de la revue « Pour la République Sociale » édité par l’association PRS, article au titre évocateur : « capitalisme et barbarie ».
Ensuite, 2011 sera terrible en France avec ce que nous annonce Sarkozy. Là aussi on pourrait détailler le programme. Ça commence dès ce premier janvier avec la fin du monopole de la Poste sur le courrier de moins de 50g.
Je ne retiendrai que deux points : d’une part le démantèlement annoncé de la Protection Sociale avec à terme la remise en cause de l’assurance maladie. Le point d’attaque va passer par la réforme sur la dépendance sur laquelle je reviendrai en détail dans une prochaine note car je crois que sur ce point il y a un important travail d’éclairage et d’explication à faire. L’autre point de l’offensive sarkozyste que je veux souligner concerne les effets de plus en plus visibles de la diminution des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires. On l’a vu avec l’épisode neigeux : notre service public va être de plus en plus confronté à des risques de rupture. D’ores et déjà les conditions d’enseignement de nos enfants se dégradent fortement avec les milliers de suppressions de postes déjà réalisées ; ce qui se prépare pour la rentrée 2011 est stupéfiant.
Vous l’avez compris : 2011 va être terrible. Ceux qui s’imaginent que cette année ne va servir qu’à un casting pré électoral font une lourde erreur. Nous ne sommes pas sur une pente douce qui nous mène tranquillement vers la présidentielle ; toutes les ruptures sont possibles dans la chaîne des Etats menacés de faillite, comme dans la gestion de l’Euro. Quant à la société, elle souffre et n’en peut plus. Par la brutalité des mesures prises et par son refus de bouger sur les retraites, le gouvernement croyait générer l’abattement et la fatalité. Erreur ! C’est la rage qui monte, c’est l’orage qui gronde. En ce moment il ne s’agit pas d’attendre sur le bord du chemin, ni d’attendre 2012, ni d’attendre la révolution. Rage et colère ne produisent rien de bon mécaniquement. La responsabilité politique est d’être prêt à gouverner. Dire : voilà ce qui peut être fait pour sauver notre peuple, voilà comment on peut le faire et dans quels délais. Celles et ceux qui auront cette détermination à changer l’ordre des choses, seront les seuls qu’on écoutera au fur et à mesure que la crise ravagera notre monde. Certains en haut lieu ont été surpris du succès du nouveau petit livre rouge de Jean-Luc Mélenchon « Qu’ils s’en aillent tous ! » : il a atteint les 50 000 exemplaires, ce qui est exceptionnel pour ce type d’ouvrage. Ce qui me frappe c’est de voir ce livre pénétrer dans des ménages assez éloignés de la vie politique quotidienne et peu au fait des arcanes des partis et groupes politiques. Je l’ai vérifié lors de ces rencontres très mélangées qui se font pendant les fêtes de fin d’année : la parole de Mélenchon a touché un large public. Pour deux raisons à mon avis : d’une part un langage de rupture assumé et clair, d’autre part, il ne s’agit pas d’une simple protestation mais d’une volonté de gouverner pour mettre en œuvre cette rupture. C’est d’ailleurs ce qui explique la rage et la violence des attaques contre lui. Ses détracteurs ont compris qu’ils n’ont pas devant eux un sympathique révolté qui ne voudrait jamais gouverner mais bien quelqu’un qui est prêt à assumer le pouvoir.
Je reviendrai souvent sur ce blog sur les mesures concrètes que nous mettrons en œuvre une fois au pouvoir. Et chacune des batailles que nous allons mener dans les semaines nourriront et se nourriront de ces solutions alternatives. Cette année 2011 est effectivement décisive.
Alors Bonne Année à vous tous, amis, camarades, citoyens, lecteurs de ce blog.
René Revol
merci rené de continuer à réfléchir et de nous faire part de tes analyses toujours aussi enrichissantes … que cette année 2011 soit celle de la rupture et de la naissance d’une véritable alternative aux yeux de tout ceux qui luttent et qui souffent…
alain
Bonne année René Revol.
vous commencez l’année avec quelqu’un qui a du mal à prendre son pied, on dirait…
Bonjour René et meilleurs voeux, de santé surtout car il nous en faudra pour continuer à dénoncer ce qui se passe et combattre un système pervers mais aussi pour que les citoyens mettent en ordre de marche leur colère dans des actions organisées.
Les seuls militants des partis de progrès ne suffiraient pas ,on le voit, à arracher cette remise en cause du système. La population ,unie et organisée le peut, elle semble ignorer ce pouvoir qui est pourtant le sien. Il faut dire que l’exaltation de l’individualisme à laquelle nous assistons depuis une trentaine d’années et, surtout, depuis 1989 et la chute du mur qui a convaincu les ultras libéraux que l’heure de leur résurrection était venue , a consacré l’adage connu du « diviser pour régner ». et ça a marché, les citoyens ont perdu le sens du collectif.
Aujourd’hui, face à l’injustice criante des « réformes » voulues par un système inique la colère monte. Il est du devoir des organisations politiques et syndicales de canaliser cette colère du peuple , d’organiser les revendications et les actions citoyennes pour contraindre les pouvoirs en place à mettre en place un projet de substitution au système actuel ou à se retirer devant la volonté du peuple.
Ceci nous renvoie à l’exemple du peuple tunisien qui est parti d’une situation plus difficile que la nôtre et a réussi à chasser un pouvoir scélérat. Cette population a fait montre d’une remarquable maturité, celle-ci n’est certainement pas étrangère au niveau d’éducation et de formation hérité de l’ère Bourguiba. On ne s’étonnera pas de la tendance commune à tous les dictateurs à se méfier du savoir…
Un peu partout dans le monde-voir ce que des ouvriers chinois de Honda ont obtenu,47%d’augmentation de salaire- les peuples réclament une plus juste répartition des richesses créées -essentiellement par leur travail- et une juste rétribution de ce dernier.
Il y a bien là une invitation à poursuivre les actions en 2011 sans se limiter à la seule élection présidentielle, le caractère profondément pervers du système actuel appelle son remplacement pur et simple-enfin ne nous leurrons pas ce ne sera pas simple- par un autre où l’homme occupera le centre , l’économie étant à son service et non pas comme actuellement le contraire. Pareil problème ne peut se régler par de simples rustines.