Lectures de Noël 2010

Le dernier Thomas PYNCHON, « les sciences sociales sont-elles scientifiques ? », et lectures historiques sur la naissance du PCF, plus un cadeau de Noël.

Avec ces quelques jours de congés, entre les différents rendez vous familiaux auxquels je tiens tant (eh ! oui) c’est à nouveau les plongées – souvent nocturnes – dans les bouquins.

D’abord avant tout le besoin d’un roman pour partir loin dans l’aventure humaine. Aujourd’hui c’est le dernier Thomas PYNCHON. Cet américain m’a toujours fasciné ; non pas pour son côté secret car c’est son droit le plus strict (et tout à son honneur) d’avoir tout fait pour rester étranger aux médias (il n’y a qu’une photo jeune de lui et personne ne sait où il vit ; bref un modèle face à tous les BHL que je vomis), mais pour l’ambiance extraordinaire qu’il y a dans ses romans où les personnages semblent vivre même à travers la forme de son écriture et de ses dialogues assez hors normes. J’adore ses phrases à rallonge avec des digressions qui nous apprennent plus sur l’histoire, les personnages ou les lieux. Cette fois ci avec « Vice Caché » on est dans une ettonante histoire policière, dans les années hippies sur la Côte Ouest, avec un détective. Plein de bouleversements, avec des portaits incroyables, des dialogues pour le moins surprenants, on est dans le Los Angeles de 1970 qui ne se relève pas des marques laissées par les émeutes du quartier de Watts en 1965, avec des tensions raciales permanentes, une bourgeoisie corrompue qui flirte avce l’extrême droite, et déjà le public halluciné des premiers soldats revenant traumatisés du Vietnam. Je ne vous en dis pas plus mais croyez moi le voyage vaut le détour.

 

Sur les sciences sociales. Ensuite un peu de boulot (travail ou plaisir ?) ; je dois tenir début mars une formation dans une autre académie pour des professeurs venant de deux disciplines (philosophie et sciences économiques et sociales) et se retrouvant ensemble. Le thème que je dois traiter porte sur l’épistémologie des sciences sociales ou autrement dit est ce que l’économie, la sociologie, la science politique, l’histoire etc…peuvent prétendre au statut de science ? J’ai accepté cette formation d’abord parce que je suis toujours passionné par le fait de mettre ensemble des enseignants de différentes disciplines ; j’avais déjà goûté à cet exercice lorsque j’étais chargé de mission dans l’Education Nationale pour la mise en place de l’éducation civique entre 2000 et 2002. Notre système d’enseignement est construit sur des parallèles disciplinaires qui ne doivent jamais se rejoindre et c’est un drame si on pense que les élèves eux sont bien obligés de croiser quotidiennement ces différents savoirs. Il y aussi un autre intérêt : les sciences sociales sont construites pour nous aider à comprendre le monde et leurs résultats servent de base à notre action pour le transformer. Bref une politique conséquente de transformation s’appuie sur les résultats scientifiques de différentes sciences sociales. Or ces résultats n’ont pas la solidité des sciences de la nature. Cela nourrit souvent un relativisme de bon aloi qui laisse souvent le champ libre aux superstitions idéologiques à la mode. Donc explorer la scientificité des sciences sociales est un sujet qui me passionne depuis toujours. Dans la petite quinzaine de publications que je travaille en ce moment je vous conseille le petit ouvrage déjà ancien de l’anthropologue Alain TESTART « Pour les sciences sociales. Essai d’épistémologie » (Editions Christian Bourgois 1991). Alain TESTART présente l’originalité d’être d’une part de formation scientifique (ingénieur et centralien) et d’avoir embrassé la carrière d’anthropologue allant étudier les peuples premiers notamment dans son ouvrage sur les chasseurs cueilleurs. La thèse épistémologique qu’il développe se rapproche le plus de ce que je pense après 40 années d’enseignement des sciences sociales. Je me permets de la résumer malgré le caractère réducteur de ce genre d’exercice. Mais comme vous avez eu la patience de me lire jusque là sur un thème aussi ardu, je vous dois bien ce résumé rapide :
Les sciences ne se définissent pas par une partie du réel qui leur « appartiendrait ». L’économie ainsi s’occuperait par exemple de l’entreprise ou des échanges et la sociologie pourrait investiguer des domaines comme la famille et le lien social. Mais pourquoi s’interdire un regard sociologique sur l’entreprise et le marché ? Pourquoi s’interdire un regard économique sur la famille et le lien social ? On ne peut qu’y gagner une meilleure compréhension du réel. On peut donc légitimement s’interroger sur la nécessité de définir un objet spécifique à chaque science : on pourrait dire que chaque science a son sujet spécifique et qu’elle porte sur le même objet un regard qui lui est propre, un mode d’investigation particulier. Les frontières à partir de là deviennent plus floues et poreuses et appellent plus la collaboration que la délimitation véhémente à laquelle se livrent les détenteurs du pouvoir universitaire dans ces deux disciplines. Pour régler cette question de l’objet spécifique d’une science on peut formuler les trois postulats suivants : 1) chaque science traite toujours du même monde qui est unique 2) chaque science est coextensive en droit et en principe à la totalité du monde. 3) les différences entre sciences ne proviennent pas du monde mais de leur problématique. La sociologie, l’économie, la psychologie, etc. ne diffèrent donc pas par la spécificité du monde qu’elles étudient mais par un champ épistémologique, par une problématique propre, par les questions qu’elles posent au monde. Et dans cette problématique, elle doit se déployer complètement dans son autonomie.
Naturellement ce résumé n’engage que moi et je vous renvoie à la publication que je ferai à l’issue de ce stage de formation.

Enfin, la naissance du Parti Communiste Français il y a 90 ans à Tours m’intéresse particulièrement ces dernières semaines d’anniversaire. Quand même un congrès un jour de Noël (le 25 décembre 1920) il n’y a que des communistes (des vrais) pour oser une chose pareille ! Mais soyons sérieux, les débats qui animent ce 90ème anniversaire sont tout à fait intéressants. Ce n’est pas chez moi un intérêt nouveau, c’est le moins qu’on puisse dire puisque dés mon adolescence j’étais travaillé par cette question centrale du XXe siècle : comment ce qui a soulevé l’espérance d’émancipation pour des millions d’exploités et d’opprimés à travers le monde a pu se transformer en une machine infernale broyant les peuples ? Je n’ai jamais eu de complaisance pour la terreur stalinienne car cela représentait en plus des affres d’une répression le comble de la perversion : que des libérateurs se transforment en bourreau. Comprendre cette transformation m’a toujours paru essentiel pour ceux qui voulaient combattre pour l’émancipation humaine. C’est pour cela que j’ai toujours rejeté la facilité intellectuelle d’une part de ceux qui présentaient cela comme un mal nécessaire, d’autre part ceux qui assimilaient cette terreur à tous les autres totalitarismes en s’évitant ainsi de comprendre la particularité de cette mutation d’un projet émancipateur en une entreprise d’oppression. Bon cela n’est pas nouveau mais a aiguisé une curiosité sur la façon dont le communisme français s’était laissé soumettre par le stalinisme. J’avais déjà touché cela du doigt lorsque j’avais fait mon mémoire de sciences-po sur la résistance au stalinisme en France entre 1929 et 1933, avant que je n’engage en histoire une thèse sur le destin de l’opposant communiste catalan au stalinisme en Espagne républicaine, Andreu NIN, assassiné en 1937 par la GPU sur le territoire de la République espagnole. C’est donc en terrain connu que je me suis plongé dans la littérature de cet anniversaire.

Mais à cela s’est ajouté un autre intérêt. En effet en ce début de XXIe siècle nous rentrons dans une nouvelle période de fondation du combat émancipateur, et la crise que traverse le capitalisme mondialisé et qui va encore s’amplifier entraîne des bouleversements majeurs qui appellent la formation d’un nouvel horizon émancipateur et un nouvel instrument pour ce faire. A sa place modeste, le Parti de Gauche se situe dans ce projet. Dans ce contexte, nous pouvons tirer des leçons à étudier cet autre moment fondateur que fut le chaudron européen de 1914 à 1924. Comparaison n’est pas raison, aussi veillons toujours à bien comprendre les évènements dans leur logique historique propre ; c’est ce qui est le plus instructif.

Il y a de nombreux écrits récents qui reviennent sur ce moment. Je ne les citerai pas sauf un seul : un travail d’un jeune historien que je trouve (malgré l’énervement que provoquent en moi certains passages où je ne partage pas son point de vue) qu’il permet de bien se situer dans l’aventure extraordinaire de la fondation du PCF en 1920 au Congrès de Tours. Il s’agit de « Camarades ! La naissance du Parti Communiste en France » par Romain DUCOLOMBIER (Editions Perrin – 2010 -23€). Ce travail postule une méthode qui me plaît. Il ne cède pas à l’historiographie dominante qui fait de la naissance du PCF « un accident » dont il s’agit juste d’éclairer les circonstances exceptionnelles. Une certaine histoire tellement absorbée à vouloir que cet évènement historique n’ait rien de nécessaire veut le réduire à un accident. Sans pour autant se laisser aller à un déterminisme historique mécaniste (très présent dans l’histoire officielle du PCF faite par lui-même : « ça ne devait avoir lieu que comme ça »), l’auteur veut mettre en évidence la véritable création historique d’un évènement qui n’est pas écrit d’avance et qui aurait pu être différent mais qui s’explique par le jeu des forces qui traversent la société, pas seulement le champ politique militant directement concerné, mais aussi l’expérience de toute une génération. Un évènement donc, pas un accident.

Cette expérience historique se nourrit à plusieurs sources.

La naissance du Parti communiste en France est d’abord le fruit du traumatisme d’une guerre atroce que le socialisme d’avant 1914 croyait pouvoir éviter et qui finalement la soutint en croyant défendre la République contre l’impérialisme réactionnaire allemand et qui se révéla une boucherie contre les peuples français et allemands, avec la participation des socialistes aux gouvernements de guerre. La présence dans ces gouvernements d’Albert Thomas ou encore du vieux Jules Guesde, dont l’intransigeance révolutionnaire avant guerre était notoire, fait naître un profond ressentiment anti socialiste dans le peuple de gauche qui se morfond dans les tranchées ou qui pleure ses morts à l’arrière. C’est en effet dans la génération des jeunes qui sortent vivants de cette expérience que se met en mouvement une recherche d’un nouvel idéal émancipateur. Cela commence dés les premiers mois de la guerre et on peut le retrouver dans les correspondances des poilus, enfin exhumées et publiées. Cette recherche est d’autant plus forte qu’a disparu à la veille de la déclaration de guerre la figure titulaire de Jean Jaurès qui était le ciment de l’unité socialiste. Comme personne ne peut dire à cette génération ce qu’aurait fait Jaurès face à cette nouvelle situation, elle se retrouve orpheline et elle se cherche obscurément une issue à travers ces longues années de guerre.

La deuxième source est sans nul doute l’attraction de cette extraordinaire révolution russe, en commençant dés la révolution de février qui chasse le Tsar et établit la République, car c’est une première rupture majeure dans la poursuite de la guerre, puis qui se poursuit avec la révolution d’octobre qui apparaît aux yeux de millions d’ouvriers et paysans européens d’une incroyable audace, en distribuant aux paysans les terres prises aux aristocrates, en instituant la journée de 8h, en décidant la paix séparée, en donnant tout le pouvoir aux conseils locaux et d’entreprise. On ne mesure pas de nos jours l’incroyable popularité des bolcheviks en Europe à l’époque, sans que d’ailleurs la grande majorité des populations connaissent précisément le programme bolchevik. Lénine et Trotski étaient simplement synonymes d’audace et de rupture aux yeux de millions d’hommes dans les deux dernières années de guerre. Ce mélange du traumatisme de la guerre et de l’attrait de la révolution russe est un puissant révélateur politique.

Le Parti Communiste qui se forme en France en 1920 est le fruit de plusieurs expériences politiques et militantes : la minorité socialiste contre la guerre qui a résisté au chauvinisme triomphant avec la personnalité attachante d’un Boris Souvarine, le petit groupe des syndicalistes révolutionnaires qui s’était formé dans la CGT anarcho-syndicaliste d’avant guerre avec la personnalité d’Alfred Rosmer, les dirigeants socialistes hésitants qui finissent par basculer vers le communisme dont Marcel Cachin est la figure la plus connue, sans oublier un immense réseau de terrain de militants qui ont fait le communisme dans les départements….

Passionnant également de voir poindre dés la naissance les germes d’une certaine dégénérescence que le stalinisme va ensuite amplifier. Dés les années 20 ce qui frappe c’est l’incapacité des russes qui dominent la IIIe internationale à faire confiance à l’énergie révolutionnaire d’un nouveau parti. On le voit dés le Congrès de Tours avec la fameuse 21ème condition d’adhésion à l’IC qui cherche à épurer les partis naissants des supposés opportunistes. Puis peu à peu le Parti se trouve confronté à un phénomène de bureaucratisation qui étouffe débats et initiatives. Ce contrôle était censé permettre protéger le Parti des influences bourgeoises (la répression policière est violente et les tentatives d’étouffement nombreuses) mais il se révèle vite un moyen de surveillance du parti pour que ses cadres et militants restent fidèles à la ligne imposée à Moscou. Ce sera notamment l’effet de ce qu’on appelle la « bolchévisation » conduite de Moscou par Zinoviev et menée en France par Treint. Une fois le travail fait, Staline (qui s’est imposé en dans le Parti russe en éliminant successivement ses rivaux, Trotski en 1924, Zinoviev et Kamenev en 1926 puis Boukharine en 1928) élimine Zinoviev de l’IC et Treint dans le PCF. En France il mise notamment un jeune grandi dans les années vingt, un certain Maurice Thorez. Force est de constater que le grand parti ouvrier né à Tours en 1920 n’est plus qu’un groupuscule isolé en 1930. Une des raisons de ce recul est l’abandon par le PC de la stratégie du Front Unique avancée au IVe condrés de l’IC en 1924 (Unité face au capital entre les partis ouvriers, tout en gardant une organisation indépendante des communistes) au profit d’une dénonciation prioritaire des socialistes. Cette attitude suicidaire a été bien menée en Allemagne aboutissant au refus de choisir entre Hitler et le SPD ce qui permit à Hitler de venir au pouvoir légalement avec 32% des voix alors que SPD et KPD rassemblaient à eux deux plus de 55% des voix !

On peut donc dire qu’il y a eu un premier PCF de 1920 à 1933, au terme duquel celui-ci est devenu un petit groupe isolé et sous respiration artificielle de Moscou. Cette première histoire est souvent peu étudiée et on passe vite à la deuxième époque où le PCF va renaître dans l’expérience du Front Populaire.[On peut d’ailleurs à mon avis distinguer quatre âges du PCF : les années vingt, le Front Populaire, la Libération et le PCF structurant le mouvement ouvrier français des trente glorieuses, le PCF des années 1970 et 1980 du programme commun et son déclin historique ; chacun de ces âges ayant nourri des travaux historiques passionnants] L’intérêt de l’historiographie de ce 90ème anniversaire est de revenir sur l’expérience et les leçons de cette décennie vingt avec ses espoirs et ses désillusions.

Enfin une dernière remarque : mon cadeau de Noël a été d’offrir à certains parents et amis éloignés de la vie politique quotidienne le dernier bouquin de Mélenchon (« Qu’ils s’en aillent tous ! » qui fait un tabac en librairie) auquel j’ajoute parfois La grande Régression de Jacques Généreux (Comme me disait une nouvelle recrue du PG à la Paillade : « Généreux pour comprendre, Mélenchon pour agir ! ») ….D’ailleurs une anecdote à ce sujet après avoir acheté 3 bouquins de Mélenchon pour les offrir je me mis à le feuilleter dans le tram de Montpellier en revenant chez moi. Pendant le parcours, je fus abordé par plusieurs personnes intéressés par Mélenchon et qui vaient entendus parler de ce bouquin. Finalement j’ai vendu mes 3 exemplaires m’obligeant à revenir à la librairie….Enfin se battre en ayant un écho populaire c’est plus agréable que ces longues années de bataille dans l’ignorance médiatique. Et cela on ne le doit pas à la gentillesse des médias ( !) mais à l’énergie et à la clarté du discours que porte en notre nom Jean-Luc Mélenchon.

Bonnes lectures et joyeuses fêtes de fin d’année à toutes et à tous !

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